Comme souvent avec Netflix, c’est un peu par hasard qu’un soir, je tombe sur la série française Mytho. Netflix me la recommandait à 98%, donc c’était forcément bien. Mytho nous raconte l’histoire d’une femme de la quarantaine, mariée et mère de trois enfants, qui se sent complètement transparente et dévalorisée aux yeux de sa famille. Elle se met à inventer un énorme mytho sur sa santé pour tenter de regagner leur attention et obtenir de l’amour. Un scénario qui paraît trivial, mais une série qui nous emmène au fond des souffrances subtiles d’une charge mentale importante, qui isole, détruit et fait perdre l’auto-estime aux femmes.
Se rendre malade pour se faire considérer par les autres
Mytho est une série diffusée initialement sur Arte en octobre 2019, mais pour celles et ceux comme moi qui l’ont loupée, remercions la présence sur Netflix ! Le personnage principal, Elvira (jouée par l’actrice Marina Hands), est au bout du rouleau, car toute la charge mentale pèse sur elle au quotidien. La charge mentale a été popularisée et parfaitement expliquée par la BD « Fallait demander » d’Emma Clit, que tout le monde devrait prendre le temps de lire. Elvira est épuisée par son travail où elle doit supporter un boss infernal avec ses employés, et à la maison c’est encore à elle de tout gérer dans l’indifférence totale de son mari et de ses enfants.
En plus d’une ingratitude généralisée de tous, Elvira soupçonne son mari photographe de lui être infidèle. Elvira devient tellement le fantôme d’elle-même, qu’elle finit par s’inventer un cancer, en rentrant d’un contrôle médical. Elle se rend compte qu’avec l’annonce de la maladie, tout le monde se met subitement à la considérer, à s’occuper d’elle, à lui transmettre de l’amour, à s’inquiéter pour elle, et même à prendre en charge plus de tâches dans la maison. Elle poursuit alors dans ce mensonge, devenue comme addict à ce shoot de bonheur et à ce mirage de famille à nouveau soudée et aimante.
Elvira va vite perdre le contrôle de cette situation. Ce qui n’était qu’un petit mensonge devient alors un gros mytho, avec des impacts sur l’ensemble de la famille. Elvira souhaitait se décharger mentalement, mais s’ajoute une nouvelle charge mentale pour réussir à préserver une harmonie, garder confiance en elle et ne pas décevoir ses proches. Il devient impossible de faire marche arrière pour Elvira et la descente aux enfers se poursuit. Plus la série avance, plus elle devient noire et terrible, et perd le peu de légèreté qu’elle contenait.
Charge mentale, solitude et dépression: une souffrance sourde
On comprend que dans ce schéma d’inégalité de charge mentale au sein du couple, la femme ne peut qu’être perdante. Sa famille la considère comme une servante de la maison et non comme une personne à part entière. Dans cette tentative de retrouver une humanité auprès d’eux, on réalise que la découverte du mytho la rendrait encore plus méprisable à leurs yeux. Tout au long de la série, on voit que tous les personnages disent des mensonges au quotidien et cachent des réalités à leurs proches, pourtant on pressent rapidement que c’est sur elle que tombera le plus gros jugement, si le sien est découvert.
L’image de la femme de maison parfaite, ombre d’elle-même et dévouée à tous, ne peut être entravée. Sinon, cela demanderait aux autres de regarder leur propre méchanceté et égoïsme dans la glace. Ils vont donc la culpabiliser encore plus, plutôt que de tenter de comprendre les raisons qui l’ont poussée à mentir.
Spoiler alert : le comble est qu’on va lui reprocher de prendre autant la charge mentale (!) et de s’en plaindre, sous prétexte que « personne ne lui a jamais demandé de s’occuper de tout dans la maison ». Personne n’a jamais pris le soin d’aller faire les courses, ni de préparer le dîner ou le petit déjeuner à sa place, mais cela est encore une fois de sa faute si elle ne demande pas d’aide. Ben oui, « fallait demander » (cf BD d’Emma Clit mentionnée plus haut). Le piège s’est refermé sur elle comme une prison. La série prend le parti de se focaliser sur le point de rupture, quand il est déjà trop tard.
De l’illusion de la famille parfaite à la désillusion des femmes
Mytho montre le quotidien banal d’une famille, ce qui pousse les spectateurs-trices à s’interroger sur leur rôle au sein de la famille. Êtes-vous cette mère dépressive et débordée par la charge mentale ? Êtes-vous ce père et mari qui n’en fout pas une, mais tente toujours d’avoir le beau rôle auprès des enfants ? Avez-vous déjà été cet-te adolescent-e qui se plaint tout le temps de sa mère, sans jamais l’aider ni la remercier ?
Cette série dit énormément de choses sur les désillusions de femmes, à qui on a inculqué l’idée qu’elles devaient être de bonnes mères, amantes et femme parfaites. C’est-à-dire, cet idéal qu’on met au visage de toutes les femmes et qui réalisent qu’il n’existe pas.
Prendre tous les rôles ne fait pas devenir une super-héroïne, mais un fantôme.
Mytho est l’anti Workin Moms, cette série canadienne qui montre des « femmes actives parfaites ». Mytho rappelle qu’il n’est pas possible d’être une super héroïne sans le soutien du collectif.
Mytho montre le pouvoir d’auto-destruction de la charge mentale qui pèse sur les femmes et sa violence sourde. Cette série d’Anne Berest et Fabrice Gobert, est un tableau réaliste des dérives quotidiennes du modèle patriarcal sexiste. Mytho est passionnante du point de vue sociétal et féministe. Aussi sur le rapport amoureux hommes-femmes dans le cadre de relations hétérosexuelles cis-genrées. Autre qualité : elle aborde également la question de la transphobie (un des enfants est transgenre). À voir absolument !