Est-il possible pour l’être humain de ne désirer personne, de n’avoir profondément pas besoin de sexe et ce, tout à fait naturellement ? La réponse est oui, ça s’appelle l’asexualité. Habitué.e.s à se dire que nous devons désirer et qu’il ne peut en être autrement, on en oublie de considérer la sexualité humaine dans toute sa complexité et sa diversité : bien difficile à saisir, définir et quantifier.

Peut-être avez-vous déjà entendu parler de l’asexualité ? Terme encore trop peu connu du grand public, il concerne cependant plus de 70 000 personnes à travers le monde selon David Jay, fondateur de la communauté américaine AVEN (The Asexual Visibility and Education Network). Sortons donc notre nuancier.

Qu’est-ce que l’asexualité ?

Selon le site dédié à l’asexualité , l’asexualité est « une orientation sexuelle caractérisée par le fait qu’une personne asexuelle ne ressent pas d’attirance sexuelle pour quiconque. L’asexualité se décline sur tout un spectre. On appelle Ace une personne qui se situe sur le spectre de l’asexualité. » N’est-il pas intéressant de se dire qu’il est envisageable de ne pas éprouver le même désir pour autrui que tout le monde et que ce soit, en fait, normal ?

Ça ne s’arrête pas là puisque comme tout spectre qui se respecte, les identités qu’il présente sont multiples. Parmi elles, entre autres, la demisexualité (« ne pas ressentir d’attirance sexuelle pour d’autres personnes à moins qu’un fort lien émotionnel ait été formé avec celles-ci ») et la graysexualité (« ressentir peu d’attirance sexuelle ou seulement lors de circonstances particulières »). A noter que quelqu’un se considérant Ace peut s’identifier à une orientation sexuelle (hétéro, gay, bi etc).

corps pailleté aux couleurs lgbtgia pour illustrer l'asexualité

Une prise de conscience tardive

Si 86,9% des personnes se situant sur le spectre d’asexualité ont moins de 30 ans*, c’est peut-être aussi parce que les générations précédant internet avaient fatalement moins accès à ces informations. Comme Julien, trentenaire : « Le terme était très peu connu, surtout à mon époque. On ne peut pas se dire, pendant l’adolescence « ok je suis asexuel » comme d’autres se disent « ok je suis hétérosexuel/homosexuel/bisexuel, etc ». Le déclic est venu bien plus tard et c’est plutôt le résultat d’un long cheminement. » Plus tard, c’est le cas de le dire, puisque Julien passe par de nombreuses relations sexuelles qui ne le convainquent pas du tout (« Pour moi, c’était vraiment comme ‘passer à la casserole’ ») et doit attendre ses 29 ans avant de découvrir le terme ‘asexuel’.

illustration article asexualité

Quant à Amandine, c’est grâce à un compte Twitter LGBTQ+ qu’elle découvre les nombreuses attirances sexuelles dont elle ne supposait même pas l’existence. Elle a 21 ans. « Jusqu’alors, je m’étais crue hétérosexuelle, plutôt par défaut. » Entourée d’ami.e.s hétéros, et d’une pop culture sexualisée, elle se dit que son tour viendra et ce, même si elle n’a jamais ressenti d’attirance sexuelle pour personne. « Pour moi, les gens peuvent être beaux mais au même titre qu’on peut trouver une œuvre d’art, une maison ou un paysage agréable à regarder par exemple. Rien de très sexy là-dedans donc ! »

L’asexualité, ce n’est pas un choix

« Le peu que j’ai pu essayer de sexuel, c’est juste parce que d’autres le faisaient et pas tant que ça parce que j’en ressentais l’envie… » avoue Amandine. Constat alarmant.

C’est à l’adolescence que Pierre (28 ans) s’est aperçu que quelque chose « clochait » chez lui (terme qu’il emploie lui-même). « Après ma première fois à l’âge de 15-16 ans. Je ne savais ni pourquoi ni comment l’expliquer, j’étais fier et heureux de l’avoir fait, de ‘devenir un homme’, mais j’ai vraiment détesté l’acte en lui-même. J’ai ressenti un mélange d’ennui total et de dégoût. Parler de ces choses-là n’était pas facile pour moi à l’époque donc j’ai pris sur moi. Je suis resté célibataire 6 ans avant de partager ma vie avec quelqu’un à nouveau (sans aucun acte sexuel entre deux). » Il enchaîne en expliquant que c’est vraiment là qu’il a compris qu’il n’aimait pas du tout le sexe. « Plus ma copine avait envie de moi, plus je m’éloignais d’elle. Il lui est arrivé de m’attendre longtemps dans la chambre avant que je ne trouve le courage de la rejoindre pour faire l’inévitable. » Après une séparation, Pierre est célibataire depuis 4 ans et se sent heureux comme ça. C’est en lui, et c’est tout.

Pareil pour Julien, dont l’entourage insiste pour le voir en couple. « Certain.e.s n’arrivent pas à être totalement heureux.se sans être en couple et ont du mal à se mettre à la place de quelqu’un chez qui ça marche différemment. (…) C’est simple, je suis actuellement seul et il n’y a pas de problème. » Il ajoute d’ailleurs que s’il doit trouver quelqu’un, il se tournerait vers une asexuelle. Il croit peu aux compromis, et c’est son expérience qui parle : ses partenaires sexuelles ont souffert de ne pas se sentir désirées.

couple dans le lit

Attention – précisons que les personnes se considérant Ace peuvent tout à fait entretenir des relations romantiques. Simplement, dépendant de leur place sur le spectre Ace, le sexe aura peu ou pas de place dans leur relation de couple. Tombé amoureux (oui, oui), Julien a été en couple plusieurs années et ce, tout en assumant son asexualité. 

« Je ne comprends pas les personnes qui disent qu’un couple sans sexualité c’est comme une colocation. Ça n’a strictement rien à voir. La relation est beaucoup plus forte et la sexualité n’est pas le seul moteur d’une complicité. Nous avions énormément de moments de tendresse, nous prenions du plaisir à nous embrasser souvent, à nous faire des massages parfois très sensuels. Simplement, ce qui s’apparente pour beaucoup à de simples préliminaires, pour nous, c’était un aboutissement en soi. » 

Amandine, quant à elle, apprécie le romantisme, mais seulement « en théorie » (dans la fiction ou dans son entourage, par exemple). « Mon cas s’appelle l’anegoromantisme. Tout comme dans la sexualité, il existe de très nombreuses orientations romantiques. Certaines sont très spécifiques ! Du coup, les combinaisons sont très nombreuses… »

Ne pas confondre désir et libido

Commençons ce paragraphe par une étude scientifique réalisée par le Dr. Lori Brotto**, qui a comparé l’excitation physiologique chez 38 femmes âgées de 19 à 55 ans (10 hétéros, 10 bis, 11 homos, et 7 asexuelles) pendant la vision de films neutres et érotiques. Résultat : une capacité d’excitation sexuelle physiologique similaire chez la femme asexuelle et chez les autres. Aussi, elle conclut qu’il ne s’agit pas d’un « dysfonctionnement sexuel ».

Les hommes et femmes asexuel.le.s peuvent avoir une forte libido, sans pour autant avoir l’envie de la partager avec quiconque. Amandine a commencé à se masturber récemment, dans une impulsion « body positive ». Elle souligne cependant qu’elle n’a pas de fantasmes, ne pense à personne et n’a pas besoin d’imaginer quoi que ce soit d’érotique : « juste à [se] détendre et attendre la cascade d’endorphines ». Pierre, lui, peut ne pas se branler pendant des mois et ne même pas s’en rendre compte. Quant à Julien, se branler de temps en temps « l’aide à s’endormir ».

couple qui se prend amoureusement dans les bras

Parmi les témoignages récoltés, ils sont plusieurs à préciser que certain.e.s asexuel.le.s éprouvent une gêne véritable, voire un dégoût, à l’égard de la sexualité, mais ce n’est pas l’essence du spectre Ace. Hommes et femmes Ace peuvent également être consommateurs de porno ! « Le porno mainstream, avec des gros plans sur les sexes, je ne comprends pas le délire », précise cependant Julien.  « Ce que j’aime, c’est voir une femme qui prend son pied, regarder son visage quand elle jouit. Limite si on ne voit pas du tout les corps mais juste le visage de la femme qui prend du plaisir pendant 20 minutes, ça m’irait complètement. » 

Amandine a exploré par curiosité, parce que c’est un truc que tout le monde fait. Elle a fait le tour et est passée à autre chose. Enfin, Baptiste nous annonce être sensible au monde du BDSM en général, bien qu’il ne pratique pas. « J’aime voir de jolis corps et j’aime beaucoup le shibari ; un corps enlacé dans les cordes est pour moi une forme d’art qui se contemple comme un beau tableau. »

L’importance de la pédagogie

En définitive, je ne prétends évidemment pas, dans ce recueil de témoignages, avoir fait le tour de la question. En revanche, je ne peux que regretter le fait que les notions de désir et libido ne soient pas davantage nuancées dans les discours traditionnels sur l’éducation sexuelle. Le spectre Ace recouvre une minorité de personnes, certes, mais il est important selon moi de savoir que ça existe. Ne serait-ce que pour que les personnes concernées puissent en prendre conscience sans passer par la case « culpabilité » et/ou « expériences désagréables », puis se sentir encouragées à communiquer sur la question. A travers ces témoignages, tous évoquent le site d’AVEN, qui s’avère être un véritable soutien et une grande ressource pédagogique pour la communauté asexuelle.

Amandine confirme ; « Parfois, c’est difficile d’expliquer tout ça, de devoir se répéter en boucle, surtout quand la personne en face de vous est convaincue que l’asexualité n’existe pas. Et surtout, surtout… quand on a peur que ces mêmes remarques proviennent de personnes proches. Personne n’aimerait que sa propre famille démente sa sexualité. »

Merci à tous ceux et toutes celles qui ont eu la gentillesse de témoigner pour nous !

*Source : asexualite.org
**https://www.medicaldaily.com/asexuality-real-how-rare-orientation-helps-us-understand-human-sexuality-332346

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