La représentation de la bisexualité est largement dominée par une imagerie féminine. Que ce soit dans les représentations publicitaires, dans la pornographie ou dans les discussions en société, tout pousse à penser que « toutes les femmes sont un peu bisexuelles ». En parallèle, la bisexualité masculine semble inexistante et l’homme bisexuel est soit « trop gay » soit « pas assez gay ». Les personnes bisexuelles de manière générale, ont peu de représentations collectives pour s’identifier. De plus, elle sont vues comme des personnes « qui ne savent pas ce qu’elles veulent » ou qui sont « juste dans une phase ». En somme, la bisexualité est encore le coeur de nombreux préjugés.

hommes jouant ensemble
Photo par Kevin Malik

Survalorisation de la bisexualité féminine dans la culture populaire

Dans nos sociétés occidentales, la bisexualité féminine est souvent montrée comme quelque chose d’inné chez les femmes. Si on est une nana cool et chaude, on est forcément capable de se taper une autre nana. Après tout c’est marrant et c’est pas grand chose un petit bisou ou cunni entre copines, non ? En tout cas, c’est ce que semble penser le fantasme masculin issu des représentations patriarcales.

En revanche, côté mecs, c’est une autre paire de manches généralement. De la même façon que le petit garçon dans le film français culte « Les Trois Frères » aimait crier « j’suis pas une salope ! », demandez à un mec s’il a déjà eu une attirance bisexuelle, il y a de fortes chances qu’il réponde « j’suis pas un pédé ! ». Or, il s’attend à ce qu’une femme dans le même cas lui réponde « oui bien sûr, j’ai toujours eu envie de me taper ma meilleure amie ». Pourtant, on n’a jamais entendu dire que des filles jouaient à « chat-chatte », alors que le jeu « chat-bite » est un classique de jeu entre mecs supposés parfaitement hétérosexuels. Bug dans la matrice ?

Supposons qu’il soit vrai que les femmes ont tendance à être plus ouvertes à la bisexualité, cela n’est-il pas du à des représentations sociétales qui conditionnent et influencent notre imaginaire érotique ?

deux femmes dans le lit
Photo par Ketut Subiyanto on

Qui se souvient du baiser saphique de Sarah Michelle Gellar dans le film Sexe Intentions ? Ou du baiser entre Madonna et Britney Spears aux MTV Video Music Awards de 2003 ? On peut également citer cette ancienne pub Schweppes qui suggérait une attirance latente entre Pénélope Cruz et une jeune blonde, ou le film Love de Gaspar Noé qui met en scène un plan à trois HFF (1 homme / 2 femmes) au cœur de l’intrigue. On en parle sinon de la chanson I kissed a Girl de Katy Perry ? Nul besoin de mentionner en plus les films pornos, où il est quasi impossible de ne pas voir une femme en lécher une autre a minima. Les femmes sont toujours à l’honneur quand il s’agit de mettre en scène les attirances du même sexe, selon les codes du male gaze.

Cela rend-il le public féminin plus enclin à se poser la question de sa propre bisexualité potentielle, voire à influencer notre rapport à la séduction ? À titre d’exemple, d’après l’IFOP, le « girls kissing » déjà pratiqué par 45% des femmes de moins de 25 ans (vs 21% en moyenne chez l’ensemble des femmes), est une pratique effectuée surtout pour attirer les mecs.* L’étude indique aussi que « seulement » 4% de femmes se définissent comme bisexuelles ou lesbiennes, bien que les femmes semblent de plus en plus oser avoir des pratiques saphiques. La bisexualité féminine serait peut-être donc plus souvent de la bi-curiosité, influencée par les fantasmes masculins sur les femmes bisexuelles et l’envie de séduire les hommes.

Le tabou de la bisexualité masculine 

Une aura de mystère semble subsister autour de la bisexualité masculine. Les références de scènes cinématographiques ou publicitaires ne viennent pas à mon esprit aussi facilement que pour les femmes. Signe déjà que mon imaginaire bisexuel est bien plus inspiré et habitué par des représentations féminines. On peut bien sûr en trouver dans le porno aussi, mais cela demande de taper des requêtes précises de recherche. Pour trouver une scène similaire avec les femmes, il suffit de regarder quasiment n’importe quel film. On a presque l’impression que quand on est un homme, on est soit hétéro soit homo, mais jamais de la vie bi.

Dans l’article Sexualité masculine, virilité et clichés, on abordait le fait que la sexualité masculine reste encore très caricaturale, avec cette idée que l’homme est un chef de guerre sexuel dont l’arme de virilité est le pénis. On appelle les hommes « le sexe fort » et cette expression en dit beaucoup.

Etre bisexuel ne relève pas de la norme de l’homme fort hétérosexuel, c’est être une sorte de vilain petit canard. C’est assumer qu’on puisse trouver attirant un pénis, avoir envie de se faire pénétrer, et cela voudrait dire être « une tapette » dans le langage homophobe et biphobe usuel.

Ce serait ne plus être reconnu par ses pairs masculins, qui même dans notre monde actuel plus tolérant sur les différentes sexualités, continuent de voir l’attirance homme-homme comme étant quelque chose de honteux. Pourtant, les hommes aussi sont bi à n’en point douter, car il n’y a aucune raison que cela soit seulement une qualité d’ordre exclusivement féminin.

illustration trouple pour article sur la bisexualité

Dans le livre Bisexualité, le dernier tabou  de Rommel Mendés-Leité, il est décrit 8 types de bisexualité masculine :
1) le bisexuel circonstanciel (ou bisexuel de base) : est celui qui affirme faire l’amour avec des hommes et des femmes selon les circonstances, les situations et les occasions.
2) le bisexuel d’une seule femme : est un homme marié ou vivant en concubinage hétérosexuel, mais qui ne reconnait en tout et pour tout qu’une seule aventure féminine (souvent la mère de ses enfants), et dit n’éprouver aucune attirance pour les autres femmes.
3) le bisexuel à tendance homosexuelle : est un homme célibataire qui a de nombreux partenaire masculins et éprouve de moins en moins d’attirance pour les femmes
4) le bisexuel fortement sexualisé : explique son désir pour les deux sexes par une sexualité débridée qui l’amène à saisir la moindre occasion
5) le bisexuel expérimental : associe la bisexualité à une forme de liberté ou plutôt à un moyen de refuser un enfermement conformiste dans une sexualité figée
6) le bisexuel a tendance hétérosexuelle : est un homme célibataire qui, attiré par la conquête des femmes très féminines, recherche dans ses aventures masculines une certaine androgynie
7) le bisexuel souffrant : souvent célibataire, se sent mal à l’aise du fait de son incapacité à faire un choix entre ses partenaires en termes de genre
8 ) enfin, le bisexuel transitionnel : est un homme qui a vécu une période bisexuelle, ressentie comme une transition entre l’hétéro et l’homosexualité ou vice versa.**

Une orientation sexuelle comme une autre 

Symbole de la bisexualité
Symbole de la bisexualité

SOS Homophobie,  Act Up-Paris, Bi’Cause et le MAG Jeunes LGBT ont fait une enquête nationale sur la bisexualité en 2015***, dans le but de donner une meilleure visibilité aux personnes bisexuelles. Sur plus de 6 000 personnes interrogées, il en ressort que les lesbiennes sont celles qui connaissent le plus de personnes bisexuelles (83%), contre 69% chez les gays et 65% chez les hétérosexuels. Cet écart s’expliquerait notamment par le manque de visibilité dans les médias et la perception négative qu’ont les gays envers les bisexuels qu’ils considèrent comme des indécis, des refoulés, des instables…

En effet, les Bi ont une image relativement négative auprès des homosexuels. D’ailleurs, cette enquête montre que les gays présentent le plus faible pourcentage définissant la bisexualité comme « une orientation sexuelle » et le plus fort pourcentage la définissant comme « un passage ». On remarque également que les personnes interrogées considèrent qu’il est difficile de faire confiance à une personne bi. Du fait qu’ils soient attirés par les deux sexes, cela crée une méfiance à l’égard de leur appétit sexuel supposé trop important et de leur capacité à être fidèles. L’étude conclut que ce type de stéréotypes génère de la biphobie et de la discrimination envers les bisexuel-les. Visiblement, le chemin reste long pour que la société propose une vision plus respectueuse et réaliste de la bisexualité, hors des schémas saphistes caricaturaux.

*http://www.grazia.fr/article/l-infographie-du-jour-une-francaise-sur-dix-a-deja-eu-une-experience-sexuelle-av-84320
** http://www.bisexualite.info/forum/viewtopic.php?t=4601
***https://www.sos-homophobie.org/sites/default/files/rapport_bisexualite_2015.pdf

Write A Comment