Elles viennent de Paris, de Rennes ou d’ailleurs; elles sont célibataires, mères ou grand-mères ; elles ont entre 22 et 58 ans et ont toutes accepté de répondre à nos questions concernant leur rapport au maquillage. Meilleur ami ou meilleur allié, le make-up est pour certaines une obligation, un gilet de sauvetage, une passion mais aussi parfois une contrainte. Par des notes vocales très touchantes, des direct messages sur Instagram, de jolis mails ou des messages Whatsapp, voici ce qu’elles ont accepté de nous dévoiler.

Cet article est le deuxième d’une série de trois articles sur le rapport au maquillage des femmes. Lire le premier article sur les femmes et le maquillage.

L’enfer, c’est les autres. Surtout leur regard.

Nancy est une de mes anciennes collègues. Elle me confie que son adolescence a été loin d’être facile : on se moquait d’elle car elle était plus petite que ses camarades. Alors, elle a décidé de se maquiller pour être vue et remarquée pour autre chose que son gabarit :

J’ai commencé à me maquiller suite à des réflexions de mes camarades. J’ai commencé à piquer des affaires dans la trousse de beauté de ma maman. Et là, le regard des autres a changé et aujourd’hui, ce regard est toujours important pour moi. On s’est tellement ancrés de complexes liés aux diktats de la société que c’est pas facile de s’en débarrasser. Je pense avoir encore du travail à faire pour m’affranchir de cette peur du jugement, et toujours me demander si on me trouverait aussi belle sans maquillage.

Le regard des autres à l’adolescence peut être destructeur pour notre propre construction intérieure. Celui des hommes que l’on aime peut l’être tout autant, voire plus, pour notre intégrité en tant que femme. Le récit de mon autre amie Anna m’a touché en plein cœur, car je l’ai découvert pour la première fois en l’interrogeant :

J’ai eu la réflexion d’un garçon un jour qui m’a marquée et influence aujourd’hui encore mes relations avec les hommes. Je me suis démaquillée et l’ai rejoint pour aller me coucher. Il m’a regardée longuement pendant une minute et m’a dit  » ah, c’est comme ça en fait ?». Cette phrase avec le « c’est » et  » en fait » m’a blessée et horrifiée. C’est comme si je n’avais pas été là et que j’étais immonde sans maquillage. Depuis, le réveil avec un homme me met très mal à l’aise car je crains la même réaction. J’évite donc de rester sans maquillage avec un homme, surtout si nous ne sommes pas ensemble depuis longtemps.

Les hommes penseraient donc que nous avons la même tête au réveil, au même titre que nous n’allons pas non plus aux toilettes ? Il est triste de constater qu’il existe encore de telles attentes et pression des hommes sur nous. Cette blessure, Louise une ancienne camarade de classe de collège, n’a jamais pris le risque de la connaître. En effet, elle me raconte qu’au début de sa relation avec son copain, elle prétextait des “excuses bidons pour aller la première dans la salle de bain au réveil, afin de me maquiller rapidement”.

Des faits qui font écho aux mots de Charles Baudelaire, qui dans son Eloge du maquillage, extrait de son étude « Le Peintre de la Vie Moderne » (publié en 1891), couche sur papier une réalité malheureusement pas si éloignée de la nôtre : « la femme est bien dans son droit, et même elle accomplit une espèce de devoir en s’appliquant à paraître magique et surnaturelle; il faut qu’elle étonne, qu’elle charme; idole, elle doit se dorer pour être adorée. Elle doit donc emprunter à tous les arts les moyens de s’élever au-dessus de la nature pour mieux subjuguer les cœurs et frapper les esprits ».

Mistinguett au Moulin Rouge
Mistinguett au Moulin Rouge, une des plus grandes chanteuses de la Belle Epoque française connue pour ses coquetteries

Quand le complexe devient passion

Nancy explique qu’après avoir regardé des centaines de vidéos sur Youtube pour s’embellir, le fait de se maquiller est devenu une routine bien-être dont elle ne pourrait plus se passer. Elle me confie : “le fait de me maquiller me rend heureuse”.

Une valeur partagée par mon amie Annabelle qui, même pour passer un dimanche entre filles, va prendre le temps nécessaire pour se maquiller. Forcément, dans ces moments-là je sens la distance entre les team make-up et les no make-up comme moi. Je comprends que cette routine, que je trouve longue et fastidieuse, peut en valoir la chandelle pour d’autres. Je me sens en décalage soudainement avec mes cheveux et ma peau au naturel.

Le maquillage est un apprentissage. Annabelle me confie qu’elle s’enfermait dans la salle de bain de son père pour reproduire en boucle les gestes des youtubeuses. Mon amie Julia s’est reconvertie en créant une chaîne Youtube de tests de produits cosmétiques et de tutos make-up :

On peut penser que le maquillage est superficiel mais c’est surtout un moyen de se sentir bien dans sa peau ou d’être une autre personne. Je pense notamment aux drags queens. Il ne faut pas oublier que le maquillage est un art, il faut voir les oeuvres de certains make up artists ! Il faut avoir du talent et beaucoup d’imagination pour arriver à ces résultats. Pour moi, passer 1h30 à trouver quel fard je vais utiliser et jouer avec les textures me fait un bien fou.

Ru Paul
Photo de Ru Paul, drag queen la plus célèbre, à la tête de l’émission Ru Paul’s Drag Race mettant en compétition autours de différents concours de mode et beauté, des drags venues du monde entier

Par définition, le maquillage est une façon de se camoufler, on dit bien « maquiller une scène de crime ». Des autres, mais aussi de soi. Le maquillage qu’on le veuille ou non, est intimement lié à la confiance en soi. “Je me suis jamais sentie mal sans maquillage mais j’aurais du mal à sortir sans. Je me sens mise à nue” comme l’explique  Nancy.

Lire notre article 3/3 de l’enquête sur le rapport au maquillage.