Face à un manque consternant de représentations du lesbianisme, nous autres goudous sommes soumises au quotidien à une quantité phénoménale de clichés et de questions absurdes. Les autres orientations du prisme LGBTQIA+ ne sont évidemment pas épargnées par cette ignorance. Cependant, le lesbianisme a la particularité de combiner homophobie et sexisme. Quand le mainstream ne laisse pas ou peu d’espace, la représentation majeure est alors la pornographie, une industrie encore créée par des hommes pour des hommes. Navrée de décevoir, mais le porno lesbien ne ressemble ni de près ni de loin, à la sexualité lesbienne.
Le porno lesbien et ses clichés
Voici donc une liste non exhaustive des aberrations qu’on peut trouver dans le porno lesbien :
- Les filles avec d’immenses faux ongles : demandez à n’importe quelle lesbienne (ou femme bisexuelle/pansexuelle), les ongles en bas ça fait MAL. Pour les personnes dépourvues d’une vulve, imaginez un toucher rectal fait par Freddie Kruger.
- Les scènes où les filles ne font que s’embrasser et se touchent du bout des doigts en gémissant : même si on est très sensibles, il est tout de même rare d’avoir un orgasme après 3 secondes de masturbation visiblement malhabile (comme quoi il n’y a pas que les hommes qui ont du mal à trouver un clitoris)
- Deux filles s’occupent en attendant l’arrivée d’un plombier doté d’un tuyau impressionnant : peut-être faut-il le rappeler mais le concept d’être lesbienne implique de ne pas vouloir d’homme dans son lit.
- La fameuse scène des ciseaux : c’est le cliché le plus répandu sur la sexualité lesbienne et il est temps de rétablir la vérité : l’immense majorité des lesbiennes ne pratique pas les « ciseaux », c’est inconfortable et demande beaucoup d’effort pour peu de plaisir.
- L’omniprésence de sextoys phalliques : bien sûr, chacun.e peut intégrer des jouets dans sa vie sexuelle, chez Desculottées on serait bien mal placées pour dénoncer ça, mais les lesbiennes n’expriment pas nécessairement le besoin de « compenser » la pénétration par un pénis en plastique.
La sexualité lesbienne vue comme une « sous-sexualité »
Tant de clichés s’expliquent par le fait que la plupart des actrices ne sont pas lesbiennes. Mais aussi par ce fameux « male gaze », c’est-à-dire la perspective d’un homme hétérosexuel, qui projette une relation sexuelle entre deux femmes dans un fantasme masculin. Dans une société patriarcale hétéronormative, qui met au premier plan le désir masculin et la pénétration, la sexualité lesbienne devient transgressive puisqu’elle exclut toute présence masculine.
Ainsi, le lesbianisme est considéré comme une sous sexualité : sans pénis, est-ce vraiment du sexe ? La sous-représentation médiatique cultive ce vaste mystère qui entoure le sexe lesbien et alimente donc la fétichisation des lesbiennes. Sur le compte Instagram Paye Ta Gouine, souvent des hommes (bien intentionnés évidemment) proposent leurs « services » aux lesbiennes, à qui il manque nécessairement quelque chose, on leur demande qui fait l’homme etc. Toute cette violence est le fruit d’un système global et le porno n’est finalement qu’un maillon. Les films « normaux » cristallisent tout autant de méconnaissance et d’érotisation par et pour les hommes hétérosexuels. Prenons le film La Vie d’Adèle : nous avons un homme hétérosexuel, Abdellatif Kechiche, qui met en scène une histoire d’amour lesbien, jouée par deux femmes hétérosexuelles. On retrouve dans un objet de pop culture le même schéma que dans les films pornographiques lesbiens. Ainsi, les scènes de sexe dans le film sont très caricaturales et absurdes (qu’on me présente une femme aussi décomplexée et à l’aise lors de sa première fois).
Quand le porno lesbien se fait militant
Le porno lesbien peut cristalliser des problématiques de lesbophobie et de sexisme, mais il peut également devenir un outil politique pour lutter contre ces discriminations. Erika Lust est une réalisatrice et productrice qui fait partie de cette mouvance : pionnière sur le filon encore peu exploité de la pornographie féministe, elle met en scène des corps et des interactions que nous n’avons pas l’habitude de voir dans le porno de masse.
Dans sa série de courts-métrages XConfessions, Erika Lust donne vie aux fantasmes que lui envoient des anonymes, afin de montrer la multiplicité des fantasmes humains. De plus, elle fait appel à des actrices et acteurs aux physiques loin des canons du porno. Parmi ces courts-métrages, il y a des scénarios lesbiens. Il faut bien avouer qu’en plus d’être superbement réalisés, ils sont très sexy et d’une grande diversité : du vanille au plus hard, voilà enfin du porno lesbien qui vaut le coup et qui mérite qu’on paie pour le regarder.
Qu’on le veuille ou non, le porno est politique : il met en exergue des problématiques auxquelles nous sommes confrontées au quotidien et peut contribuer à accentuer des discriminations. Il est grand temps que nous réinvestissions notre intimité loin des stéréotypes. La pornographie militante LGBTQIA+ friendly semble être le premier pas pour se réapproprier ses fantasmes loin d’un « male gaze » nocif.