Le milieu libertin, incarne la liberté et l’ouverture d’esprit, mais il peut paradoxalement être un terrain miné pour les personnes racisées. Entre racisme et fétichisation, comment vivre son désir de liberté sexuelle sans se sentir mis à part ? Ces réalités sont souvent peu abordées dans les discussions sur le libertinage. Pourtant, le monde libertin a aussi besoin de mieux réfléchir à l’inclusivité. Heureusement, il existe aussi des espaces libertins queer et sex-positifs, qui proposent d’autres codes, avec des publics et pratiques plus diverses.

Un milieu libertin décevant pour les couples racisés

Pour Zyad, le constat est sans appel, le monde du libertinage est décevant. En couple depuis 10 ans, lui et sa femme sont tous deux des personnes non blanches. Même s’ils se considèrent libertins d’un point de vue philosophique et dans leurs moeurs, cela fait des années qu’ils ne traînent plus dans les lieux ou sur les sites libertins. « Fréquenter le milieu libertin ? Non merci, car on le trouve ringard » explique Zyad.

Image IA d'un homme algérien et d'une femme guadeloupéenne

Le couple, composé d’un homme d’origine algérienne et d’une femme guadeloupéenne, a été confronté à une fermeture d’esprit constante. Le racisme vécu a souvent été camouflé sous l’excuse « ce sont les goûts et les couleurs ». Les discriminations raciales ne sont pas uniquement présentes dans les comportements ouverts. On les voit aussi dans les filtres ethniques et corporels que certains sites libertins proposent. Préférez-vous voir des profils de personnes caucasiennes, noires, arabes, asiatiques ? Des personnes minces, athlétiques, grosses ? Pour Zyad, appliquer des filtres et choisir ses partenaires selon des critères raciaux et corporels est symptomatique du milieu.

Le racisme se manifeste aussi de manière plus sournoise. Lui et sa femme ont parfois utilisé des pseudos anglo-saxons sur le site libertin Wyylde. Après des échanges de sextos et photos, la donne change quand il donne son vrai nom à consonance arabe. « Avec le pseudo Steven on souhaitait me rencontrer et me trouvais beau. Mais, après avoir découvert mon vrai nom, ça annule le rendez-vous. Je crois que le message est clair. C’est juste du pur racisme« , s’indigne Zyad.

« Généralement, dès qu’on sait que je suis arabe, on me bloque ou on me ghoste. C’est vraiment violent et dur pour l’ego. »

Témoignage de Zyad, en couple libertin

Racisme, fétichisation et fantasmes colonialisés

Bien sûr, il y a des personnes racisées dans les soirées libertines classiques, même si elles sont minoritaires. Mais, quand un lieu voit leur fréquentation augmenter, Zyad a déjà remarqué que les personnes blanches s’en désintéressent. Il a déjà lu dans les commentaires d’un sauna libertin « c’est trop devenu un repère de la banlieue ».

Image contre le racisme
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Concernant les fantasmes sexuels, les couples pratiquant le candaulisme ont un fantasme récurrent : trouver un homme noir (idéalement avec un pénis imposant), qui couche avec la femme devant son mari (tous deux blancs). Un désir et une pratique fétichiste que décrit notamment Eve de Candaulie, dans son livre Une indécente liberté. Nos fantasmes nous appartiennent et il n’est pas question de faire la police des désirs. Cependant, ces représentations semblent souvent venir d’un inconscient collectif néocolonial. C’est donc important de souligner leurs limites, d’autant plus dans un contexte libertin où le racisme ordinaire semble de mise.

Tu peux voir des profils sur les sites libertins qui écrivent “pas de noirs, pas d’arabes”. Ou ils tentent plus subtil avec des phrases comme “madame n’aime ni le chocolat, ni le beurre ». De mon expérience, les gens fétichisent la femme noire et en parallèle détestent l’homme arabe.”

Témoignage de Zyad, en couple libertin

En ce qui concerne les femmes noires, il n’est pas rare de voir écrit des termes comme « tigresse », « lionne », « féline ». Comme dans la société civile, les femmes noires sont souvent animalisées et fétichisées. Cela peut poser la question de l’intention derrière la désirabilité qu’on leur porte dans un espace libertin. Surtout, quand on sait que la femme noire n’est pas toujours perçue comme désirable. La performeuse Michelle Tshibola explique dans une interview, que des hommes partaient en la voyant sur scène : « Ah non, on ne veut pas voir une femme noire ! »

Privilégier des soirées queer sex-positives, est-ce la solution ?

Zyad conclut en se demandant s’il ne devrait pas chercher des soirées libertines en non-mixité, pour personnes racisées. « Mais je trouve ça en partie dommage, car étant sapiosexuel, c’est avant tout l’échange avec l’autre qui m’attire. Personnellement, je ne réduis pas les autres à leur ethnie. Mais si les autres le font, il faut bien trouver des alternatives, où on se sent respecté. »

serious multiethnic men standing in studio
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Les soirées libertines sex-positives et queer sont les lieux privilégiés depuis toujours d’Ophélie Joh. Cette performeuse, dominatrix et drag king Joh Lala, les a découvert il y a une dizaine d’années dans une soirée libertine. Grâce à une connaissance, elle apprend l’existence du shibari, du polyamour et des soirées sex-positives. Pour Ophélie, il y a tout de même plus de diversité des corps et couleurs dans le libertinage aujourd’hui. Même si elle reconnaît que les positions sexuelles sont souvent similaires, et qu »il y a forcément un homme présent dans l’acte, dans les soirées libertines hétéronormées.

Tant qu’il y aura du racisme et du porno dans la société, il y aura toujours des biais dans le libertinage. Les milieux queer, eux, s’en foutent des biais de pouvoir, de domination. Ce sont des espaces militants, anti grossophobes, anti discriminations, qui sont plus politisés. Donc, les sexualités s’y expriment différemment, plus librement. »

Témoignage d’Ophélie Joh

La France compterait environ 500 lieux libertins. Ne serait-il pas temps de dépoussiérer les codes et de prendre exemple sur des modèles plus sex-positifs ? Le libertinage n’est pas condamné à rester un entre-soi, plutôt blanc, plutôt bourgeois, plutôt hétéro. Et non, ce n’est pas parce que les rapports bisexuels féminins sont coutumiers, que ça dénote une ambiance queer-friendly. La femme bisexuelle est souvent une autre forme de fétichisme, d’autant que l’homme bisexuel est souvent peu accepté dans les soirées libertines.

Alors, à quand un club libertin nouvelle génération, avec des fantasmes renouvelés et du plaisir pour tous-tes, pour de vrai ?