Comment devient-on Drag Queen ? Qui se cache derrière ces visages extrêmement maquillés et à l’attitude exubérante ? Quel est leur place au sein de la communauté LGBTQ+ ? Drag, l’autre visage des Queens et des Kings est le livre à lire pour en savoir plus sur la culture underground « Drag ». Sofian Aissaoui dresse les portraits intimes et sans fards de celles et ceux qui incarnent le mouvement drag en France. Les rétrospectives historiques et les témoignages de concerné-es nous offrent une joyeuse exploration au coeur de la grande histoire du drag.
L’art du drag, c’est arrêter de faire genre
Le drag est défini dans le livre comme « l’art d’explorer le genre, de s’en amuser à travers une esthétique vestimentaire ou corporelle, de se jouer des codes et des apparences ». Dans notre imaginaire collectif, on pense d’emblée aux Drag Queens, ces personnages de sexe masculin « habillés comme des femmes ». C’est d’ailleurs une des explications qu’on donne à l’origine du mot DRAG – DRessed As a Girl.
« Le but du drag, ce n’est pas de dire qu’un homme peut être une femme. C’est de dire qu’être un homme ou une femme, ce n’est rien. »
Klaus Wiekind, artiste Drag King
Les Drag sont l’allégorie vivante des performances du genre qu’on accomplit tous-tes au quotidien. Qu’est-ce qu’être masculin ou féminine ? Quels sont les codes esthétiques et sociaux ? En les détournant, en les exagérant, en les moquant, en les accomplissant à l’extrême perfection, les Drag nous renvoient à nos propres jeux de rôles.
Pour que l’illusion fonctionne, c’est un vrai travail fastidieux pour les vrais visages qui performent. Physiquement, il faut penser et maîtriser des techniques de transformation : padding (rembourrage), tucking (scotcher son pénis et le plaquer en arrière pour le dissimuler), biding (dissimuler sa poitrine), ou encore utiliser un packer (pénis en silicone à mettre dans le pantalon). L’art du maquillage, de l’habillage et de l’attitude font partie intégrante aussi de la performance.
Drag Kings, femmes cis et personnes racisées cherchent leur place sur scène
La culture drag faisant partie intégrante de la communauté queer, Sofian Aissaoui revient sur différentes dates clés de la lutte pour la reconnaissance des droits LGBT+.
Malheureusement, on remarque que les Drag ne sont pas exempts de schémas habituels en termes de discrimination. L’univers est « majoritairement masculin et homosexuel » comme le souligne l’auteur, et blanc. Les artistes noir-es tendent alors à se regrouper dans la communauté ballroom – inspirée des bals d’Harlem des années 1920, période de prohibition à New-York, qui verra naître ensuite le voguing des décennies plus tard -, où majorité de personnes sont noires.
Les Drag Queens sont connues pour singer la féminité et concentrent toute la lumière de la pratique. Mais saviez-vous que les Drag Kings existent aussi (des personnes de sexe féminin qui singent la masculinité)? Pour Klaus Wiekind, singer la féminité est un privilège masculin. Dans un monde où l’on considère que le masculin l’emporte sur le féminin, les Kings agissent moins pour le divertissement que pour un positionnement politique. Etre Drag King, c’est mettre en exergue des logiques de domination, c’est prendre conscience de sa position de personne assignée femme à la naissance.
« Parce que la féminité, c’est un artifice, et que la masculinité est un universel. À partir de là, t’as compris ce qui est acceptable ou pas, ce qui est monétisable ou pas, ce qui est bankable ou pas, ce que l’on peut visibiliser ou pas. »
Shammy Des Vices Junior, artiste Drag King.
L’une des rares femmes cisgenres à exercer le drag en France est Morphine Blaze, organisatrice des soirées « Misandrag » au Bonjour Madame à Paris. Le nom de cette soirée reflète la volonté de sortir d’un modèle où paradoxalement le mâle domine toujours la scène. La question de la place des personnes transgenres se pose également, car le drag c’est essentiellement la performance de personnes cisgenres se « transformant » dans l’autre genre.
Au coeur de ces questions d’inclusivité, on retrouve l’influence de la télé-réalité américaine à succès Ru Paul’s Drag Race.
RuPaul et la démocratisation des Drags
En France, le Drag devient une culture reconnue grâce aux cabarets de la fin du XIXè et première moitié du XXè siècle, comme Le Chat noir et le célèbre Michou de la Butte Montmartre. À cette époque, on parle surtout de tranformisme et de cabaret travesti.
Aujourd’hui, le nom incontournable est RuPaul. Devenu une icône pop dès les années 90, il s’agit du drag queen le plus célèbre et influent d’aujourd’hui. Cet américain, businessman hors pair, est à la base du phénomène mondial RuPaul’s Drag Race, disponible sur Netflix. Ce show télévisé qui met en compétition des Drag Queens, en est déjà à 14 saisons aux Etats-Unis et des adaptations dans différents pays du monde dont la France.
L’ouvrage de Sofian Aissaoui nous apprend que la vision de RuPaul a influencé considérablement l’esprit du Drag, creusant un fossé entre l’ancienne et la nouvelle génération. La démocratisation apporte plus de compétition et de logique capitaliste, loin de l’esprit underground et de la débrouille des débuts. C’est à qui brillera le plus et plus vite sous la lumière des followers et des contrats… et pour cela tous les moyens (financiers) sont bons.
« On travaille dans une économie où tout va de plus en plus vite : on veut un nouveau look, une nouvelle perruque, un nouveau make-up […] T’en as qui débarquent et qui ont de l’argent, donc elles ont des looks de ouf. Mais l’essence même du drag, c’est beaucoup plus que d’avoir simplement un look. »
Cookie Kunty, artiste drag queen
Une chose est certaine, de l’underground au mainstream, le Drag n’a pas fini de livrer ses différentes facettes. Il continue d’être un cri de liberté qui pose la question suivante : en réalité, est-ce qu’on ne fait pas tous-tes genre ?
Drag, l’autre visage des Queens et des Kings est un livre écrit par Sofia Aissaoui et illustré par Valentin Pasquier. Disponible aux éditions La Musardine.