En 2019, l’entreprise de sondage française IPSOS a réalisé une enquête sur les représentations sociales 1Les représentations sociales peuvent être définies comme « l’ensemble des croyances, des connaissances et des opinions qui sont produites et partagées par les individus d’un même groupe, à l’égard d’un objet social donné. C’est d’ailleurs en ce sens que l’on parle aussi, pour les définir, de « théories naïves » faisant référence en cela à des constructions plus ou moins élaborées, mais qui s’opposent à celles de l’expert ou du scientifique . » (Christian Guimelli, 1999) du viol, du violeur et de la femme violée. Les résultats de ce sondage illustrent tristement la méconnaissance et la perpétuation des préjugés sur le viol chez les français.e.s. Nous allons confronter ces représentations et mettre en lumière les idées reçues qu’on devrait tous.tes déconstruire.

Cet article est le 2è de notre série d’article sur la culture du viol, et fait suite à l’article La culture du viol, une manifestation de la société patriarcale.

Les représentations sociales du viol 

Idée reçue numéro 1 : La majorité des viols sont des actes survenus en pleine nuit dans une ruelle abandonnée par un inconnu. FAUX 

Selon le sondage IPSOS, plus d’1 Français.e sur 2 considèrent l’espace public comme l’endroit où les personnes sexisées2 Ce terme désigne l’ensemble des personnes subissant structurellement du sexisme. Ce terme permet d’inclure toutes les personnes subissant du sexisme c’est-à-dire les femmes cis, trans, lesbiennes… Le terme “sexisé”permet de mettre l’accent sur les processus de construction sociale de la différence des sexes à la racine du sexisme. (Juliet Drouar, 2021) risquent le plus d’être violées. Or, c’est tout le contraire, les personnes sexisées ont plus de chance de se faire violer dans l’espace privé que sur l’espace public. En effet, selon les enquêtes statistiques, la majorité des viols sont commis dans la sphère privée, le plus souvent par un des proches de la victime (conjoint, ex-conjoint, collègues…). (Valérie Rey-Robert, 2019)

Idée reçue numéro 2 : Un viol s’accompagne de violences physiques importantes et/ou un viol ou une agression sexuelle sont forcément commis sous la menace d’une arme. FAUX 

Selon certaines études, dans 10% des cas seulement, le violeur utilise une arme (Valérie Rey-Robert,2019). Les victimes peuvent présenter très peu de blessures physiques, la plupart ne se débattent pas. 

Vous vous posez peut-être la question : pour quelles raisons les victimes ne se débattent pas pendant un viol ? Cela peut s’expliquer par plusieurs facteurs, notamment l’état de sidération et/ou la mise en place de contraintes subtiles afin de manipuler les victimes et de ne pas avoir à recourir à la violence.

“Des femmes doutent du fait qu’elles ont été violées, car elles ignorent tout du phénomène de sidération.”

Bebe Melkor-Kadior, 2020

L’état de sidération peut s’illustrer à travers l’absence de résistance face à des violences. Les scientifiques parlent d’état de sidération pour décrire l’état psychique causé par un traumatisme, lors duquel une personne se retrouve figée, incapable de bouger, comme absente de son corps. Il s’agirait d’un mécanisme de défense évolutif et incontrôlable hérité du monde animal. 

Ce mécanisme est super bien montré dans l’épisode 3 de la mini-série britannique « Sous Influence » (Apple Tree Yard) diffusée sur Arte, où une scène explique pourquoi on ne se débat pas toujours pendant un viol : 

Petit point positif du sondage IPSOS, 82% des Français.e.s considèrent qu’une victime peut être choquée au point d’être physiquement incapable de faire le moindre mouvement pour se défendre lors d’un viol. 

Ensuite, le violeur peut mettre en œuvre des contraintes subtiles et les victimes peuvent parfois céder face à l’insistance de leur violeur. À tous ces mécanismes s’ajoutent la difficulté de manifester son “non” lors de rapports sexuels. Effectivement, certaines victimes témoignent avoir eu peur de dire non ou avoir manqué d’espace pour manifester leur désaccord. Ces multiples facteurs peuvent expliquer l’absence de traces de violences physiques.

Collage féministe "céder n'est pas consentir" sur le viol
Collage féministe « céder n’est pas consentir »

Les représentations sociales du violeur 

Idée reçue numéro 1 : Les violeurs sont issus des quartiers populaires. FAUX 

Plusieurs stéréotypes racistes et classistes sur la figure du violeur persistent. La relation entre violeurs et quartiers populaires est souvent faite. Néanmoins, statistiquement les violeurs sont issus de toutes les classes socio-économiques. Les enquêtes de victimation (recensement des personnes déclarant avoir subi des violences) ont démontré que le viol touchait tous les milieux sociaux de façon à peu près équivalente. (Louise Fessard, 2011)

C’est simple, le violeur c’est toujours l’autre, c’est quelqu’un loin de nous, en périphérie, un immigré, un fou, un jeune de quartier, un marginal… Cette distanciation du violeur est centrale dans la culture du viol, elle évite toute prise de conscience et remise en question de nos modèles sociaux.

“Ils seraient issus des basses classes, étrangers, en marge de la société, au sens strict en “banlieue”, c’est-à-dire tout autour de nous, en périphérie mais jamais au centre … Le viol est un crime sans coupable parce que ça ne peut pas être lui, c’est l’autre”

Valérie Rey-Robert, 2019

Pour conclure ce point, le viol est le résultat de la domination masculine qui autorise les violences sexuelles. Il s’agit d’une histoire de domination, les hommes cis exercent un rapport de pouvoir sur les personnes sexisées, de diverses manières, et les violences sexuelles représentent une facette de cette domination. On peut parler ici d’un fait social (Emile Durkheim, 1895), c’est-à-dire d’un problème qui est étendu dans toute la société tout en ayant une existence propre, indépendant de ses manifestations individuelles. 

“Les violences sexuelles sont l’expression de hiérarchies existantes, mais elles constituent également un outil pour les maintenir.”

Noémie Renard, 2018

Idée reçue numéro 2 : Les hommes ont des pulsions sexuelles qu’ils doivent à tout prix assouvir. FAUX 

Il existe toute une croyance qui relie les hommes à leurs pulsions sexuelles. Selon ces croyances, les hommes ne pourraient pas contrôler leurs pulsions, ils seraient beaucoup trop stimulés par leur système hormonal. Cet argument nourrit la fatalisation du viol et déresponsabilise les violeurs : si les hommes violent, ce n’est pas de leur faute, c’est parce qu’ils n’arrivent pas à se contrôler. Expliquer un fait social uniquement en s’appuyant sur des arguments type « c’est naturel » empêche tout questionnement et débat, en réalité plusieurs objections sont possibles face à cette affirmation peu fondée : 

Première objection : Si les hommes ne pouvaient pas contrôler leurs pulsions sexuelles, on observerait des viols partout et tout le temps. Ce qui n’est évidemment pas le cas. Dans les faits, la plupart des viols sont prémédités et organisés.

Deuxième objection : réduire les hommes à leurs pulsions revient à les ramener à un stade animal et comme le dit si bien Titiou Lecoq :

« Si vraiment les hommes sont des créatures faibles, sans volonté, incapables de rester concentrés face à une fille en short, totalement soumis à leurs pulsions, il serait peut-être temps de poser la question : êtes-vous pour ou contre le droit de vote des hommes ?”

Titiou Lecoq, 2020

Les représentations sociales de la femme violée

Idée reçue numéro 1 : Pour une femme, derrière un non il y a un oui. FAUX  

Selon le sondage IPSOS, 17% des Français.e.s considèrent que derrière un “non” se cache un “oui”. On en revient toujours à la notion de consentement qui est centrale dans nos vies et sexualités. 

« Aujourd’hui, des hommes violent des femmes sans même en avoir conscience, simplement parce qu’ils n’ont jamais compris et assimilé la notion de consentement mutuel.”  

Bebe Melkor-Kadior, 2020

Pourtant, le consentement peut se définir très simplement : c’est le fait d’accepter volontairement une proposition. Il est intéressant d’étudier comment dans le cadre des relations sexuelles, la définition du consentement se floute alors qu’hors relation sexuelle, un oui ou un non reste plutôt clair et compréhensible. 

On citera ici l’exemple de la vidéo “Tea and Consent” réalisée en 2015. Pour expliquer le consentement, cette vidéo utilise la métaphore du thé. Lorsqu’une personne répond non à la proposition d’un thé, on ne la force pas à en boire. Lorsqu’une personne est inconsciente, on ne la réveille pas en lui faisant boire du thé. Lorsqu’une personne hésite à prendre du thé, on ne l’oblige pas à en boire etc…

Grâce à cet exemple, il est très facile d’identifier le non-consentement d’une personne, un “non” c’est “non”. Valérie Rey-Robert se pose alors la question suivante : “Pourquoi cela devrait-il être différent dans le domaine sexuel et pourquoi ne pourrait-on pas s’arrêter quand on le souhaite ?” 

En continuant sa réflexion, elle en déduit que “le problème ce n’est pas que les hommes ne comprennent pas le non, c’est qu’ils ne l’acceptent pas”. On en revient à l’éducation sexuelle, où la sexualité masculine est vue comme quasi irrépressible et les désirs masculins supérieurs aux féminins. En parallèle, il est enseigné aux personnes sexisées tout au long de leur vie que leur avis ne compte pas, qu’elles doivent se montrer dociles, que leur désir sexuel doit être tu. La notion de consentement n’est pas un problème de compréhension du non, mais d’éducation aussi bien du côté des hommes que des femmes. 

Idée reçue numéro 2 : La victime est responsable de son viol si elle a eu une attitude provocante. FAUX 

Pour 42% des Français.e.s, cela atténue la responsabilité du violeur si la victime a eu une attitude provocante en public. Par attitude provocante, on entend communément le style vestimentaire, l’état de la personne et son comportement. Malheureusement, on pense qu’on est plusieurs à déjà avoir entendu.e.s ce genre de remarques : “Oui mais tu as vu comment elle était habillée ?”, ou “Elle était complètement bourrée aussi” ou encore “Mais que faisait-elle seule dans la rue à cette heure-ci ?” 

Toutes ces croyances entretiennent la culpabilisation de la victime et déresponsabilisent le coupable. Elles induisent que la victime est responsable de son viol, car au fond elle l’aurait bien cherché. Cependant, le viol se définit, de manière simplifiée, par le non-consentement. Si une personne est consentante, il n’y a pas de viol (Valérie Rey-Robert, 2019). Par définition, aucune personne ne  peut « chercher à se faire violer ». 

Idée reçue numéro 3 : Le viol conjugal n’existe pas. FAUX 

Le sondage IPSOS relève deux faits importants : 

-Pour 31% des Français.e.s une victime est en partie responsable si elle a déjà eu des relations sexuelles avec le violeur.

-17% des Français.e.s interrogé.e.s pensent que forcer sa conjointe à avoir un rapport sexuel alors qu’elle refuse et ne se laisse pas faire n’est pas un viol. 

Il est important de souligner que plus de 40% des cas de viols déclarés sont commis par le conjoint ou l’ex-conjoint de la victime (Valérie Rey-Robert, 2019). De plus, 90% des plaintes pour viol conjugal sont classées sans suite. (Alouti Feriel, 2016) 

Il est pourtant clair que consentir une fois n’est pas consentir pour toujours. Être mariée ou avoir déjà eu des relations sexuelles avec un homme ne signifie pas que son corps reste disponible à jamais.

“Le viol n’implique pas de n’avoir pas eu de relations sexuelles habituelles, passées ou régulières, avec la personne qui vous a violé. Être mariée, ne signifie pas non plus, du moins aujourd’hui en France, devoir céder à son mari s’il souhaite avoir des relations sexuelles. »

Valérie Rey-Robert, 2019

Au sujet du viol conjugal, on vous recommande de regarder l’excellent court-métrage « Je suis ordinaire ». Il montre parfaitement en quelques minutes, la mécanique d’un viol conjugal et pourquoi la notion de consentement dans un couple reste essentielle. 

Idée reçue 4 : La victime ment. FAUX 

37% des Français.e.s considèrent que les victimes accusent souvent à tort par déception amoureuse ou pour se venger. 

Un soupçon de mensonge peut être présent dans toutes les infractions, néanmoins c’est principalement dans les cas de viols qu’on met en avant cet argument dans le but de réduire au silence les victimes. Or, plusieurs études menées dans le monde entier avancent que les accusations mensongères ne concerneraient que 2% à 10% des plaintes pour viol. (Noémie Renard, 2018)

Vous l’aurez compris, un bon nombre des représentations sociales du viol sont en réalité totalement à côté de la plaque. Elles ne s’appuient sur aucune étude sociologique ou recherches approfondies sur la question. Ces représentations nourrissent la culture du viol et entravent une prise en charge réelle des victimes. Et encore une fois, ce sont les personnes sexisées qui en font les frais quotidiennement ! Il apparaît donc primordial de lutter et se mobiliser activement contre la propagation de la culture du viol. On verra quelques pistes de réflexions pour sortir de la culture du viol dans le troisième et dernier article de notre série sur la culture du viol.

Rapport d’enquête IPSOS : 
Rapport d’enquête de Mémoire traumatique et victimologie – IPSOS, “Les français.e.s et les représentations sur le viol et les violences sexuelles-vague 2- 2019 vs 2015”, Février 2019, Disponible sur : https://www.ipsos.com/sites/default/file

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