Dans son livre Sexe et Mensonges, la vie sexuelle au Maroc, Leila Slimani nous dépeint la place compliquée et étriquée de la sexualité au Maroc, à travers la parole brute des femmes marocaines. Entre tabous, frustrations et interdictions, Leila Slimani dénonce l’hypocrisie qui règne en maître, dans une société où le sexe se consomme avec frénésie tout en étant nié dans son existence.
« Le fait de vivre ou d’avoir grandi dans des sociétés où la liberté sexuelle n’existe pas fait du sexe un objet d’obsession permanente »*
Leila Slimani nous prévient dès le début de l’ouvrage, il ne faut pas s’attendre à lire un essai sur la sexualité au Maroc ou une étude sociologique, ce n’est pas son objectif. L’autrice souhaite laisser la voix aux femmes qui ont eu le courage de se confier à elle. C’est à travers leurs expériences individuelles qu’il nous est possible de toucher du doigt la réalité des difficultés sexuelles qu’elles vivent au quotidien.
Les femmes marocaines prennent de plus en plus de place dans l’espace public, réussissent et s’émancipent. En conséquence les hommes prennent peur, se sentent perdus et menacés. Ils ont l’impression de subir la modernité et la mondialisation. Alors, ils se réfugient dans le patriarcat pour pallier à ces angoisses. Ce sentiment de perte de repères du masculin devant l’accroissement du pouvoir féminin est aussi perceptible dans le monde occidental. Nous l’évoquions d’ailleurs dans l’article Sexualité masculine, virilité et clichés.
Mais au Maroc, ce bouleversement des équilibres s’inscrit dans une société où le sexe, et précisément le sexe hors mariage, s’érige en péché originel. En terre marocaine, l’interdiction de la « fornication » n’est pas juste une injonction morale, elle est aussi pénale. L’article 490 du Code Pénal prévoit l’« emprisonnement d’un mois à un an pour toutes personnes de sexe différent, qui n’étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles ». Difficile d’établir des rapports de séduction sains, dénués de culpabilité et de violence dans un tel contexte.
Comme souvent, l’oppression ne fait qu’accroître le désir. Nous voici ainsi face à une société marocaine bâillonnée sexuellement, avec un rapport obsessionnel et schizophrène à la sexualité.
Si tout est interdit en apparence, chacun sait que tout se fait en cachette, dans les ténèbres du mensonge. Faire l’amour dans un lieu insolite n’a rien de folklorique au Maroc. Dans un contexte où la police, les voisins et la famille veillent au moindre écart, cela est une question de survie du désir. De plus, cela génère l’angoisse terrible d’être exposés à la justice et à la société toute entière.
« On ne peut pas juste libérer le corps sans l’âme »*
Les femmes marocaines sont placées au coeur même de toutes les oppressions qui pèsent sur la société. Honneur, image de la transmission, vertu, tout repose sur les épaules féminines. Le corps de la femme a une pesanteur terrible. La vertu de la femme est un enjeu public est celle-ci est garante de l’honneur familial et de l’identité nationale. Rien que ça…
Parmi les éléments essentiels de l’honneur se situe la virginité, objet de préoccupation collective dans la société. Car une femme n’a que deux possibilités de condition : être vierge ou épouse. Ainsi, la virginité est même un business pour des médecins, qui se sont spécialisés en reconstruction d’hymens pour cacher les défloraisons « illégitimes ». Certaines familles demandent des « certificats de virginité » avant de marier leurs filles ! « Si l’hymen n’existait pas, ce serait la liberté » en vient même à affirmer une femme interrogée dans le livre.
« Défendre les droits sexuels, c’est défendre directement les droits des femmes »*
La virginité, le rôle de l’éducation, la question du viol, l’avortement, le désir et l’amour sont abordés par Leïla Slimani. Elle permet de remettre en perspective notre propre rapport à la sexualité en France.
Elle défend l’idée que changer les mentalités, prendre conscience que l’amour, la beauté et la tendresse n’ont rien de scandaleux. Au contraire, c’est utile pour libérer les frustrations, réduire la violence sexuelle pour mieux nous rapprocher. Voici quelques-uns des défis à affronter pour la sexualité marocaine aujourd’hui.
Comme dans le livre Très Intime de Solange Te Parle, on remarque un vrai problème de compréhension sexuelle entre hommes et femmes.
Il y a une vraie difficulté des hommes à sortir d’une logique masturbatoire. « Pour beaucoup d’hommes, une femme se résume à un vagin dans lequel tu te masturbes » , affirme Zhor dans le livre de Leïla Slimani.
Elle ajoute à ce propos que beaucoup de femmes se sentent violées en faisant l’amour. Pour l’autrice, « défendre les droits sexuels, c’est défendre directement les droits des femmes » et c’est ce que prône Sexe et Mensonges.
Sexe et Mensonges, édité aux éditions Les Arènes.
*Citations extraites du livre Sexe et Mensonges, Leïla Slimani