Sorti en 2020, trois ans après la grosse vague #Metoo, Le Consentement de Vanessa Springora avait été un pavé dans la mare des violences sexuelles. Le livre avait notamment permis de ressortir des archives télé, où son agresseur l’écrivain Gabriel Matzneff était invité et admiré pour ses écrits faisant l’apologie de crimes sexuels sur mineure-s. Les faits étant prescrits, ce livre permet à Vanessa Springora de « prendre le chasseur à son propre piège : l’enfermer dans un livre ». 

Quand la notion de consentement est bafouée

J’ai mis cinq ans avant d’oser acheter ce livre et une fois entre mes mains, je l’ai lu d’une traite. Trigger warning, sachez que ce livre décrit la vraie histoire d’un abus sur mineure, il peut donc heurter de nombreuses sensibilités. Cependant, l’écriture de Vanessa Springora est fluide et douce, bien que le récit soit poignant. La manière dont elle retrace la relation d’emprise pédophile qu’elle a vécu avec l’écrivain Gabriel Matzneff vous prend par les tripes. Jusqu’à la nausée.

Le syndrome de Stockholm n’est pas qu’une rumeur. Pourquoi une adolescente de quatorze ans ne pourrait-elle aimer un monsieur de trentre-six ans son aîné ? Cent fois, j’avais retourné cette question dans mon esprit. Sans voir qu’elle était mal posée, dès le départ. Ce n’est pas mon attirance à moi qu’il fallait interroger, mais la sienne.”

Le consentement, Vanessa Springora

Il y a tant à dire et à la fois si peu quand on clôt la lecture d’un tel livre. Le Consentement est d’utilité publique et l’autrice ne manque pas d’évoquer l’ambivalence qui subsiste en mémoire, quand la notion de consentement a été bafouée et manipulée par un adulte envers une personne mineure.

Je pense plutôt qu’il est extrêmement difficile de se défaire d’une telle emprise, dix, vingt, ou trente ans plus tard. Toute l’ambiguïté de se sentir complice de cet amour qu’on a forcément ressenti, de cette attirance qu’on a soi-même suscitée, nous lie les mains plus encore que les quelques adeptes qui restent à G. dans le milieu littéraire. »

Le consentement, Vanessa Springora

Ce silence étourdissant du monde adulte

Je suis admirative de la capacité de Vanessa Springora à revenir sur de tels souvenirs, avec un recul sur l’immondice de tout un système élitiste qui protégeait les agresseurs, plutôt que de secourir les enfants victimes de leur perversion.

Pourquoi tous ces intellectuels de gauche ont-ils défendu avec tant d’ardeur des positions qui semblent aujourd’hui si choquantes ? Notamment l’assouplissement du code pénal concernant les relations sexuelles entre adultes et mineurs, ainsi que l’abolition de la majorité sexuelle ? […]
Dans le courant des années 80, le milieu dans lequel je grandis est encore empreint de cette vision du monde.

Le consentement, Vanessa Springora

Comme le rappelle l’autrice, le milieu dans lequel elle grandit dans les années 80, est un monde où les « soixante-huitards » défendent la libre jouissance de tous les corps, incluant la sexualité juvénile. C’est aussi une époque où la figure de l’écrivain conserve un statut quasiment déique, qui sert ainsi d’alibi à Gabriel Matzneff, pour étaler ses abus sur mineur dans des livres et dans des émissions télé « au nom de l’art ». En somme, c’est tout un système organisé pour soutenir les violences et silencier les victimes, qui ont forcément du mal à s’identifier comme telles. Tout le monde semble normaliser autour d’elle la relation qu’elle entretient à 14 ans, avec un écrivain de 50 ans. Même sa mère. Un environnement qui n’est pas sans rappeler le livre La Familia Grande de Camille Kouchner sur l’inceste vécu par son frère.

À quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de cinquante ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter. […] quand personne ne s’étonne de ma situation, j’ai tout de même l’intuition que le monde autour de moi ne tourne pas rond.

Le consentement, Vanessa Springora

Le Consentement de Vanessa Springora a été traduit dans 22 langues et adapté au cinéma en 2023 par Vanessa Filho. On retrouve notamment Jean-Paul Rouve et Laetitia Casta au casting.