Céline Tran, je l’ai rencontrée par hasard dans un restaurant parisien. Ajouté à sa beauté particulière, je fus immédiatement happée par ce mélange de douceur et de force qui émane d’elle. En femme assumée, celle qui est connue pour être l’ex-Katsuni ne se lasse jamais de découvrir et d’explorer ses multiples soi. C’est avec simplicité et gentillesse qu’elle a accepté de m’accorder cette interview. Portrait d’une femme ninja.
Tu présentes Katsuni comme le “nom de guerrière en talons aiguilles” que tu t’es choisie durant 13 ans. Je dois dire que j’aime beaucoup cette expression qui contraste avec l’image de soumission des actrices porno – et des femmes en général ? -. Quel regard portes-tu sur cette femme aujourd’hui et qu’a-t-elle apporté à Céline Tran ?
J’éprouve un mélange de tendresse et d’amusement. Je me suis vraiment déguisée dès lors que j’ai fait le choix de travailler dans l’industrie pour adultes. J’avais envie d’expérimenter et le besoin de le faire à travers la sexualité me paraissait évident, pour moi qui à 21 ans ne me voyais pas encore comme une femme. D’ailleurs ce ressenti est arrivé bien plus tard. À la base, je suis une fille timide et réservée, jouer les actrices porno était un bon délire, un jeu. Mais quand je me lance dans quelque chose et que ça me plaît, je vais jusqu’au bout, je ne connais pas trop la demi-mesure. En gardant l’esprit du jeu, le test s’est transformé en choix de métier, de vie, puis est devenu une carrière.
Aujourd’hui, quand je revois des images de moi en « Katsuni » ou repense à ce passé, je me dis «Wow quand même, j’ai fait ça » ! C’est un peu comme se réveiller le lendemain d’une cuite.
Tu es content de ta soirée, tu ne la regrettes pas car tu t’es autorisée à lâcher prise, mais tu te réveilles en te disant : Ok, la fête est finie. Je vais utiliser mon énergie autrement désormais.
Une chose me fascine en observant ta biographie, c’est à quel point tu es capable de t’investir dans un tas de projets très différents. D’abord étudiante en lettres et sciences politiques, tu te lances dans une carrière pornographique pendant 13 ans. Tu as ta propre ligne de lingerie, tu mixes, tu pratiques les arts martiaux, la danse, tu fais de la contorsion, tu es auteure de BD et comédienne… et cette liste est loin d’être exhaustive ! L’envie de vivre plusieurs vies dans une vie ?
Oui je ne me limite pas. Tant que je suis debout, tant que je respire, il y a toujours quelque chose à découvrir , à goûter, à apprendre. Bien souvent ça commence avec la curiosité. Je tente quelque chose, ça me plaît. Et après je me lance des défis personnels avec des délais. Au final je ne parviens jamais à vivre quelque chose comme un « à côté », un loisir. Tout devient vite passionnel. La danse, la contorsion et les arts martiaux c’était vraiment pour explorer au départ. Mais, j’ai besoin de repousser mes limites et j’aime l’idée d’être amatrice dans une discipline mais de viser un niveau « professionnel ». C’est une manière de valider mes efforts j’imagine, ça me stimule.
Ce qui est super c’est de pouvoir tout connecter et de me servir de tout cela à de vraies fins professionnelles. Par exemple les arts martiaux et la pratique du combat scénique m’ont permis de réaliser des vidéos de démo où je fais des combats ou de la manipulation au katana. Ces vidéos m’ont permis d’obtenir un rôle dans un long-métrage d’action en Asie et d’en enclencher d’autres. Le fait que je regarde beaucoup de films me mène aujourd’hui à écrire des « scénars » de bande-dessinée. Rien ne se perd, tout est utile et chaque discipline nourrit l’autre. Et ça fait tellement de bien de se diversifier ! C’est vital pour moi.
Tu m’inspires l’image d’une femme forte, indépendante, sensible, et qui va toujours au bout de ses envies, quitte à sortir de sa zone de confort. Point important : tu assumes toujours tes choix. Autant dire que sur Desculottées, on adore ça ! Pas trop dur dans les rapports avec les hommes ? Tu dois impressionner plus d’un homme non ?
Merci, je suis ravie de t’inspirer quelque chose d’aussi positif ! Avec les hommes, il y a souvent des malentendus, et à vrai dire c’est normal quand on s’est amusée à jouer aux « mangeuses d’hommes ».
Même si c’est du spectacle, que les films X sont des fictions, beaucoup ne parviennent pas à faire la part des choses et projettent soit leurs fantasmes soit leurs angoisses. Il en résulte beaucoup de curiosité, de préjugés, de désir, de peur, mais aussi une forme de complicité et de confiance. Beaucoup se livrent à moi, car étant allée très loin dans ma sexualité sans ne jamais montrer de honte, ils se disent que je ne les jugerai pas et que je peux les comprendre. Il y a toujours cette ambivalence chez les hommes : cette volonté, cette nécessité de paraître fort, mais en même temps beaucoup de fragilité, de doutes. Certains, c’est vrai, ont des comportements affligeants mais on ne peut demander à tout le monde de se montrer ouvert d’esprit.
Au quotidien, je me préserve au maximum. Je fais le tri dans mon entourage, je sors surtout pour faire du sport et dans ce type de contexte les mecs savent se tenir, car l’esprit sportif se fout des différences de parcours, de classes sociales, de religions etc. On est tous à la même enseigne quand on s’entraîne. Dans ma vie professionnelle, je pense être suffisamment claire pour ne pas créer d’ambiguïté, je ne suis pas dans la séduction.
Pour moi, il y a vraiment un temps pour tout et je n’éprouve pas le besoin de séduire un homme pour être son égal ou vouloir le dominer. Enfin, dans la vie privée et amoureuse ç’a été beaucoup plus compliqué. Les hommes se mettent la pression. Au début ils se montrent fiers, puis ils flippent, obnubilés par le désir de performance. Mais en amour on ne se compare pas, on n’est pas dans une course.
J’ai aujourd’hui la chance d’être avec quelqu’un qui l’a compris et qui pour moi est au-dessus de tous, entre autres, parce qu’il ne cherche pas à l’être.
L’ex-Katsuni fut l’actrice X française la plus récompensée et la plus reconnue dans le monde. En 2013, Céline Tran est classée parmi les 100 femmes les plus influentes en France. Tu es clairement une icône féminine ! Quel rapport les femmes entretiennent-elles avec toi ?
Je suis beaucoup plus entourée d’hommes que de femmes, et ce depuis toujours. J’ai toujours été dans des groupes de mecs , y étant plus à l’aise. Quand les filles de ma classe avaient un poster de Florent Pagny dans leur chambre, moi j’avais Bruce Lee (rires). Aujourd’hui c’est un peu pareil .
Cependant, j’ai plusieurs amies filles que j’admire beaucoup pour leur force de caractère, leur sens de l’humour et surtout le fait qu’elles ne revendiquent pas leur féminité. Elles ne jouent pas là-dessus et je trouve ça classe.
J’ai joué sur les clichés de la « femme fatale » pour séduire, mais honnêtement j’admire les femmes qui justement sont « au-dessus » de ça et accomplissent des choses indépendamment de leur sexe. C’est ça la vraie force à mon sens.
J’imagine bien que je ne fais pas l’unanimité, mais les femmes que je rencontre, qu’elles soient ado ou adultes, sont toujours très cool. Il y a souvent un peu de méfiance au début, elles m’observent (surtout si leur mec est à proximité !), mais la glace est vite rompue. Je ne suis pas là pour rentrer en compétition ou mettre mal à l’aise. Que ce soit avec des hommes ou des femmes, l’envie de partager est la même.
Dans bon nombre d’activités que tu exerces, la relation au corps et aux sens semble être très importante pour toi. Tu sembles bien dans ta peau. Quels conseils donnerais-tu aux femmes pour se sentir plus à l’aise dans leur corps et l’accepter tel qu’il est ?
Je vois que tu m’as bien cernée ! Et voilà une question très intéressante (comme les précédentes d’ailleurs). Elle me touche beaucoup, car mon parcours est le reflet de cette recherche de bien-être justement.
J’ai mis du temps à « apprivoiser » mon corps, à l’aimer. Je l’ai aussi transformé avec de la chirurgie esthétique, ce n’est pas anodin. Au fil de ces années, je suis parvenue à vraiment l’habiter.
Quand on utilise son corps comme un outil de travail c’est pratique mais ça peut être dangereux ! Or, le corps c’est soi, et il est important, littéralement vital d’en prendre soin. Dans son apparence, mais surtout dans le lien qu’on entretient avec afin d’être serein. Evidemment la base est de faire attention à son alimentation, son hygiène de vie, mais c’est le regard qu’on a vis-à-vis de nous-même qui nous construit.
Quand on ne s’aime pas ou qu’on complexe, soit on est un peu rejetée des autres , soit on s’expose à rencontrer des personnes qui vont en tirer profit pour nous dominer. Donc apprendre à s’aimer est la base fondamentale.
À partir de là, ce qui nous paraît être des défauts physiques devient secondaire, car on cesse de se comparer aux autres et de se juger. Cela demande du travail et aussi un partenaire qui soit dans cette même dynamique. Après, il n’y a rien de mal à vouloir améliorer sa silhouette et l’embellir. Pour cela rien ne vaut le sport. C’est une activité saine si elle est pratiquée intelligemment, elle développe la confiance en soi et la sensation de bien-être.
Nous sommes à l’époque de Tinder, du porno amateur, des sextoys connectés, des camgirls… Penses-tu que cela change notre rapport au corps et de quelle manière ?
N’importe qui aujourd’hui peut poster des photos ou vidéos explicites, utiliser un pseudo, gagner très vite de la notoriété à coups de clics. Les notions d’intimité et de pudeur qui étaient autrefois des vertus ont fait place à une culture de l’exhib et du voyeurisme.
La société entière est devenue pornographique, dans le sens où elle s’exhibe , se dénude, expose ses performances.
Je pense vraiment que ç’a commencé avec le début de l’ère de la télé-réalité et aujourd’hui Kim Kardashian est l’icône de ce nouveau cycle. Ca veut dire aussi que le corps est montré de manière morcelée (des abdos, des paires de fesses, une bouche en gros plan), filtrée, transformée. Il est devenu virtuel. La série britannique Black Mirror parle très bien de ce phénomène, je la recommande.
Pour ma génération, je pense que ça va encore, car nous avons assisté à la transition et sommes en mesure de prendre un certain recul. En revanche, je pense que les ados aujourd’hui qui se sont vus exposés dès leur naissance sur Facebook doivent ressentir beaucoup de pression. La pression de l’image , du paraître. Je suis consciente d’avoir participé à ce processus puisque j’ai travaillé dans une industrie qui repose sur le fantasme et la performance. C’est aussi la raison pour laquelle je tiens à communiquer davantage sur l’importance de faire la part des choses entre fiction et réalité, entre l’image qu’on idéalise et soi.
Pour en savoir plus sur Céline Tran, auteure, comédienne, coach en bien-être & sexualité, on vous invite à découvrir son site web www.iamcelinetran.com