Difficile de passer à côté du phénomène Barbie, réalisé par Greta Gerwig et sorti le 19 juillet en France. Déjà présenté comme le plus gros succès de l’histoire de la Warner, le film a déjà dépassé les 1,342 milliards de dollars au box-office mondial. Le film Barbie a comme particularité de nous plonger dans un univers Barbieland dominé par les Barbie, mis en opposition avec un real world patriarcal. Sur le papier c’est féministe, en réalité, on marche sur la pointe des pieds.

Margot Robbie dans le film Barbie
Margot Robbie incarne le rôle principal de Barbie

Barbieland féministe VS le vrai monde patriarcal

Barbieland, c’est le monde imaginaire des petites filles où tout devient possible grâce aux Barbie, représenté en grandeur nature dans le film. Ce lieu est un monde parallèle, qui coexiste à côté de notre vrai monde d’humains. À Barbieland, les femmes détiennent tous les postes de pouvoir, les maisons leur appartiennent et les Ken n’existent que grâce à elles. Barbie existe sans Ken, mais pas de Ken sans Barbie ! La Barbie Stéréotype et le Ken Stéréotype sont admirablement joués par Margot Robbie et Ryan Gosling. On ne peut que saluer ce choix d’acteurs, qui incarnent avec consistance leurs rôles volontairement creux.

Margot Robbie et Ryan Gosling en Barbie et Ken
Margot Robbie et Ryan Gosling en Barbie et Ken

Un matin, Barbie se réveille avec les pieds plats et non plus sur la pointe, elle a des émotions négatives et des pensées morbides. Elle doit se rendre dans le monde réel pour redevenir une vraie Barbie « parfaite », et y découvre la réalité de la société patriarcale. Choquée de réaliser qu’elle est un modèle irréaliste et que les hommes dominent le vrai monde, elle remet en question son existence et son rôle. De retour à Barbieland, elle découvre que Ken y a instauré le patriarcat, gargarisé par sa découverte de la position dominante des hommes dans le real world. Les Barbie vont-elles réussir à reprendre le pouvoir et revenir à une société matriarcale ? Voici en résumé le pitch du film.

Parler de féminisme suffit-il à faire un film féministe ?

On ne peut nier que Barbie soit le premier blockbuster à mettre des idées féministes au coeur de sa narration. L’objectif n’était sûrement pas de proposer un film militant, mais un divertissement, donc il faut savoir raison garder et le prendre pour ce qu’il est. De ce point de vue, Barbie n’est pas inintéressant, c’est pop, humoristique et rend central le féminisme dans un film grand public à travers le monde. Bravo pour ce coup de maîtresse à Greta Gerwig !

Barbie et Ken dans le film de Greta Gerwig
Barbie et Ken dans le film de Greta Gerwig

Cependant, le sujet du féminisme reste trop épineux dans nos sociétés, pour n’y voir que de la rigolade légère. Après un énorme coup de projecteur sur les violences systémiques patriarcales durant #MeToo, on a tendance à assister à un backlash ou retour de bâton du patriarcat. Trop de personnes se complaisent à penser qu’il n’y a plus de patriarcat, que les femmes ont déjà des droits égaux et que les féministes sont des « casseuses d’ambiance ». Or, les inégalités de genre subsistent et les femmes continuent d’être discriminées et violentées, pour la seule raison qu’elles sont des femmes. Rappelons que 94 000 femmes sont victimes de viol ou tentatives de viol chaque année. Ainsi, qu’on le veuille ou non, tout film qui se prétend aborder le féminisme, devient malgré lui militant.

Par conséquent, certaines formes de dérision, les incohérences de discours et la morale absurde du film posent question. Parmi les éléments relevés qui font hérisser le poil des jambes :

  • Quand Barbie vit dans son monde matriarcal où les femmes ont tout pouvoir et les Ken ne sont que des êtres accessoires, elle n’a aucune conscience réelle ce pouvoir et incarne réellement la Barbie potiche stéréotype. Ainsi, c’est un monde de féministes empowered mais sans cervelle, qui vivent dans un monde utopique, où tout le monde n’a qu’en bouche « Hi Barbie, Hi Ken ».
  • Les éléments d’alerte qui font réaliser à Barbie qu’elle est devenue une poupée dysfonctionnelle sont qu’elle a mauvaise haleine au réveil, les pieds plats… et qu’elle se met à (se) penser. On comprend bien l’ironie et la dérision sur la vie de poupée versus femme réelle. Mais, tout de même, ça réaffirme l’idée que les préoccupations féminines seraient d’abord d’ordre esthétique.
  • La mise en scène du patriarcat quand Barbie et Ken découvrent le monde réel, est une critique de celui-ci, mais aussi une réaffirmation du statut confortable de l’homme dans notre société. Certes, le public masculin(iste) non habitué à se voir caricaturé et moqué par le regard féminin au cinéma, peut se sentir bousculé voire attaqué. Néanmoins, n’y a-t-il pas aussi un réconfort de voir Ken découvrir avec satisfaction le monde patriarcal, et de se rappeler que la société féministe n’est qu’une utopie ? En plus, Ken arrive sans aucun effort à convaincre les Barbie à sortir du « Barbiarcat » pour vivre dans le « Kenarcat ». Comme si finalement, au fond d’elles, les femmes aspiraient en fait à cette position de soumission. On a vu pire comme façon de violenter l’ordre établi machiste, non ?
Ryan Gosling incarne Ken dans le film Barbie
Ryan Gosling dans son rôle de Ken
  • Et le pompom dans tout ça, c’est la fin de l’histoire ! Barbie revient dans son monde avec deux humaines, ensemble elles font prendre conscience aux Barbie de toutes les injonctions sexistes et discriminantes envers les femmes. Grâce à leurs mots, les Barbie se rebellent contre le nouvel ordre patriarcal et reprennent le pouvoir à Barbieland. Pour autant, Barbie n’y trouve plus sa place, trop impactée par son passage dans le monde humain. Désormais « consciente », elle ne peut plus vivre naïvement dans son monde parfait et décide de devenir humaine et vivre dans le monde réel. Est-ce pour y mettre un coup de pied dans le patriarcat ? Non, spoiler alert… sa première action est de porter des Birkenstock et d’aller en rendez-vous gynéco apprécier sa vie de nouvelle femme à vagin ! What the fuck Greta ?

Abrutir le féminisme sous une forme divertissante, est-ce réellement positif ?

Le film partage plein de message, trop de messages, disséminés à-tout-va, sans réelle cohérence ni réelle profondeur. En conséquence, on ne comprend pas bien le fond du message souhaité, malgré les bonnes intentions. Tout le monde y va donc de son interprétation, comme le Liban et le Koweït qui interdisent le film accusé de promouvoir l’homosexualité, pour les cas extrêmes.
Visuellement, rien à dire, c’est réussi. On doit admettre que certaines scènes font sourire voire rire, et sont sûrement hilarantes pour le public jeune ciblé. Globalement, c’est creux et long, mais c’est divertissant et régressif à souhait.

Ryan Gosling et Margot Robbie dans le film Barbie
Image du film Barbie

Néanmoins, il en sort un sentiment d’abrutissement généralisé, comme dans beaucoup de blockbusters me direz-vous. La différence avec le film Barbie, c’est qu’il a l’audace d’aborder le féminisme, un sujet politique, en mettant les deux pieds plats dedans. Or, en se moquant du machisme, il finit par se moquer aussi du féminisme, en poussant à l’excès le second degré et l’absurde. Encore une fois, que penser du choix de la scène finale du film ? C’est une vraie question.

L’ère post MeToo tend trop à vouloir présenter les revendications féministes comme des caprices de meufs, une lubie de femmes frustrées, une volonté de détruire l’harmonie entre les sexes, une exagération. Quand on sait que les femmes touchent 28,5% de moins en salaire que les hommes et qu’1 femme sur 2 a déjà subi une violence sexuelle en France 1 https://www.noustoutes.org/comprendre-les-chiffres/ , on est en droit de se demander si tourner à la dérision un combat aussi important, n’est pas entrer dans un jeu pervers qui arrangerait parfaitement le patriarcat.

Heureusement, il y a quand même des scènes qui valent le coup d’être soulignées, et dont la portée féministe n’est pas questionnable. La première scène est le discours de Sasha (l’actrice Ariana Greenblatt), où elle affronte Barbie en lui expliquant tous les torts qu’elle a causé dans l’imaginaire sur la représentation de l’idéal féminin. La seconde scène est le discours de sa mère (l’actrice America Ferrera), qui entame une longue tirade pour dénoncer un ensemble d’injonctions contradictoires subies par les femmes et qui les font constamment se sentir imparfaites. Ces deux personnages incarnent les femmes ordinaires, celles qui vivent l’oppression patriarcale et la déconstruisent.

On est toutes d’accord pour dire que la pureté militante n’est pas toujours la solution. Vulgariser le féminisme et planter des graines dans l’esprit de tous-tes pour espérer un monde plus juste est important. Cependant, attention à ne pas céder à des effets poudre aux yeux ! À ce jeu, le patriarcat a bien plus de coups d’avance que nous. Et le film Barbie semble trop se débattre sur ce terrain extrêmement glissant.

Le film Barbie est un pur produit de féminisme washing

Ce n’est un secret pour personne que derrière Barbie, on retrouve la deuxième plus grosse société de jouets Mattel. Le film est issu d’une commande de la marque et n’est donc pas à l’initative de la réalisatrice. D’ailleurs, leur présence à l’écran n’est pas franchement discrète, aussi bien par la mention de leur nom qu’au sein de l’intrigue. C’est franchement d’un point de vue commercial, un coup de génie marketing pour renouveler l’image de leur poupée star, à l’image devenue rétrograde. Faire rentrer Barbie dans un moule féministe était la meilleure idée à faire pour Mattel. On peut voir positivement le fait qu’une entreprise se sente obligée d’inclure du féminisme dans sa stratégie de vente, pour améliorer son profit, mais ça relève clairement du féminisme washing.

Le féminisme washing, c’est le fait pour une entreprise, de créer des campagnes de publicité engagées sur la place des femmes, l’égalité entre les genres, grâce à des mots, des images, qui sont actuellement à la mode. 

Comme l’explique la journaliste économique et présidente de l’association française Prenons la Une, Léa Lejeune, dans son livre Féminisme Washing, quand les entreprises récupèrent la cause des femmes, le féminisme washing est néfaste car il retire leur substance aux mouvements féministes. Alors que le féminisme est politisé et remet en cause l’ordre établi, en se révoltant contre les oppressions de genre, de classe et de race, et contre le système capitaliste, des entreprises revêtent les couleurs du féminisme pour séduire, voire berner la nouvelle génération féministe. Le discours est sucré, séducteur, les bons mots sont employés, mais dans le fond, il n’y a aucune volonté de modification du statu quo.

Au sein du film Barbie, on remarque très vite la volonté de Mattel de promouvoir sa gamme de jouets. Parle-t-on de la scène où Ken jette les habits de Barbie par la fenêtre, et qu’un court arrêt sur images sur chaque vêtement permet d’en noter la référence ? Ou encore de la mention de différentes Barbies qui n’ont pas eu le succès escompté à l’époque de leur sortie ? On apprécie le second degré dont Mattel fait preuve sur sa propre boîte (les dirigeants sont vraiment dépeints comme des abrutis dans le film), mais ça ne masque pas le fait que ce film Barbie soit une publicité de 2h sur grand écran. D’ailleurs, la production a noué des partenariats commerciaux avec plus de 100 marques pour s’assurer d’une visibilité maximale du film. 2 https://www.huffingtonpost.fr/culture/article/le-film-barbie-dernier-tour-de-force-de-mattel-pour-redorer-l-image-de-sa-celebre-poupee_220735.html

Seulement, ce qu’on retient à la fin du film, c’est que Mattel ferait une « Barbie ordinaire », uniquement car elle se vendrait bien (et pas pour des questions de valeurs féministes); que le monde réel continue et continuera d’être patriarcal et qu’il n’y a que dans un monde imaginaire que les femmes ont le pouvoir; que Barbie décide de quitter son monde parfait où elle vit en pleine possession d’elle-même, dans la sororité et le règne matriarcal, pour finalement rejoindre la société patriarcale en tant qu’humaine…

Si c’est un film féministe, ça l’est tout autant que notre société, c’est-à-dire qu’on y est pas encore du tout, et qu’on avance sur les talons.