Revoir la société, combattre le capitalisme et le patriarcat, changer radicalement de système, abolir le sexisme et construire un monde égalitaire où l’on protège l’environnement, tel est le vœu de l’écoféminisme ! Complexe et difficilement saisissable, ce courant de pensée datant des années 70 reste ardu à définir, tant il s’est illustré par de nombreuses théories et pratiques dans le monde. Pour autant, il est évident qu’aujourd’hui, le féminisme doit se compléter par un angle écologique.

Qu’est-ce que l’écoféminisme ?

On serait tenté de faire un gentil raccourci, en mettant les termes écologie et féminisme dans un même shaker, de secouer fortement et d’obtenir l’écoféminisme. La recette est bien tentante mais la réalité est un tantinet plus complexe ! Vaste sujet autant par ses pratiques que par les pensées et polémiques qu’il sème, l’écoféminisme est avant tout un mouvement politique, altermondialiste et anticapitaliste. Pour bien comprendre toutes ses nuances et subtilités, il nous faudrait entreprendre un travail titanesque. C’est d’ailleurs ce qu’a fait la philosophe Jeanne Burgart Goutal en menant sept ans d’enquête pour rédiger Être écoféministe : Théories et pratiques (L’échappée, 2020). Telle n’est pas l’ambition de cet article, même si nous allons cependant débroussailler dans ses grandes lignes l’écoféminisme.

Pour commencer, rendons à Françoise, ce qui appartient à Françoise. Même si cette attribution a été contestée, nombreux écrits affirment bel et bien que l’écrivaine française Françoise d’Eaubonne est à l’origine de ce concept. En 1974, elle introduit l’« éco-féminisme » (avec un trait d’union, s’il-vous-plaît) dans son essai Le Féminisme ou la Mort (réédité en décembre 2020 par le passager clandestin). Rattrapée par une prise de conscience écologiste, cette féministe et militante de la première heure (cofondatrice du MLF et du Fhar) établit une relation évidente et indissociable entre la tragédie écologique de la planète et l’oppression des femmes. Rappelons que deux ans plus tôt, le rapport Meaddows tire la sonnette d’alarme en révélant que démographie exponentielle et croissance économique vont épuiser les ressources naturelles de la planète à l’horizon 2020/2030.

Ėcoféminisme : de la théorie à l’action

Pour Françoise d’Eaubonne, pas de doute, la domination des femmes est indissociable de celle exercée sur la nature, dominations toutes deux issues du capitalisme patriarcal. L’oppression sexuelle, économique et sociale de la femme comme la surexploitation de l’écosystème sont unies par un même procédé de domination. C’est pourquoi, l’auteure préconise l’abolition du sexisme et du capitalisme patriarcal.

Ce sont les femmes et toutes les minorités exploitées qui doivent s’emparer du politique pour changer radicalement le système et construire un monde égalitaire, une « société au féminin qui serait le non-pouvoir » ! D’Eaubonne pense que l’enjeu écologique dépend aussi du contrôle de la procréation qui doit revenir aux femmes et non pas au fameux « lapinisme phallocratique ». Ce contrôle implique, bien entendu, la défense des droits à la contraception et à l’avortement. De cette façon, les femmes s’émancipent et préservent les ressources planétaires. Écologie et féminisme forment une interconnexion et mènent ainsi un même combat !

femme dans la nature pour illustrer l'écoféminisme
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En France, la théorie d’Eaubonne ne prend pas et se répand très peu. C’est dans les pays anglophones, dans les années 1980, que ce courant de pensée émerge et donne naissance au mouvement pacifiste et antinucléaire Women and Life on Earth. Blocage de centrales et sit-in sont organisés par des militantes qui vont même jusqu’à s’enchaîner aux grilles du Pentagone (Women’s Pentagon Action) en opposition à la course à l’armement nucléaire.

On peut d’ailleurs retrouver les textes rédigés par ces femmes dans le recueil Reclaim (éd. Cambourakis) de la philosophe Émilie Hache. Sans rentrer dans les détails, ce concept important de reclaim (revendiquer, se réapproprier la nature vivante, réhabiliter ce qui relève du féminin) n’est pas sans poser problème ! En effet, quand il s’agit d’évoquer la relation des femmes avec la nature, les discussions s’enflamment. Mais laissons-là les dissensions, car avant de devenir un sujet de théories, l’écoféminisme s’exprime autour de mobilisations et de mouvements protestataires.

Ecoféminisme en France : un mouvement qui tarde à démarrer

Il n’y a pas un seul mouvement mais plusieurs ! On observe aussi des préoccupations et des actions directes très variées selon les pays. Les enjeux divergent entre ceux dits du Nord et ceux dits du Sud. Quand les premiers réagissent à la menace d’une éventuelle guerre nucléaire, les seconds doivent préserver de toute urgence un milieu naturel dont dépend la condition de vie de femmes. Et avant même les États-Unis ou l’Angleterre, l’écoféminisme se développe donc un peu partout dans le monde : au Kenya (The Green Belt Movement : mouvement de la ceinture verte), au Japon, en Équateur, en Australie, en Espagne. En Inde, par exemple, dans les années 70, des femmes enlacent des arbres pour faire barrière à la déforestation. C’est le mouvement Chipko (mouvement de l’étreinte) qui n’est absolument pas revendiqué comme écoféministe et qui pourtant s’inscrit dans sa droite lignée. C’est la physicienne indienne Vandana Shiva (figure internationale du combat pour l’environnement) qui relaie son histoire.

La France est donc aux abonné.es absent.es ! Il faut attendre les années 90 pour que le concept soit de retour dans l’Hexagone grâce à Écoféminisme (L’harmattan) écrit par Maria Mies, sociologue allemande, et Vandana Shiva. Le mouvement ne connaît pas pour autant une ampleur de folie. C’est seulement depuis quelques années que se dessine un timide élan de féministes adoptant la sorcière pour icône. Mais leur sorcellerie est-elle politisée à l’image de la militante écoféministe et sorcière néo-païenne américaine Starhawk ? Pas sûr ! Le collectif Witch Bloc Paname, par exemple, s’est éteint au bout de deux ans et demi d’existence. Des groupuscules plus ou moins discrets se forment ici et là.

Cependant, l’écoféminisme semble désormais pouvoir compter sur Les Engraineuses. Un collectif fondé en 2018 par la réalisatrice et journaliste Solène Ducrétot et Alice Jehan, cheffe de projet dans l’économie sociale et solidaire. Elles organisent de nombreux événements et ont créé le premier festival écoféministe de France : Après la Pluie. Les Engraineuses ont récemment cosigné un ouvrage collectif, Après la pluie : horizons écoféministes (Tana éd.) dans lequel artistes et théoriciennes s’expriment.

Dans leur « horizon des possibles » Les Engraineuses nous laissent espérer un avenir meilleur. Après la pluie… le beau temps ! À chaque moment de crise, ce sont les femmes qui sont les premières touchées. Elles représentent, par exemple, 80 % des réfugiés climatiques, c’est énorme ! Encore plus qu’hier, l’écoféminisme a sa place dans nos sociétés. Pour autant, le changement radical nécessite l’union de toutes les énergies, sans distinction de genre, avec égalité et parité. Pour relever ce défi, des décisions politiques majeures s’imposent. Citoyen.n.es de la Terre, il est temps de relever vos manches !

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