Le livre Eropolitique, écoféminismes, désirs et révolution de Myriam Bahaffou est une bombe ! Chaque page de ce livre crée une détonation dans votre cerveau, qui procure un réel plaisir jouissif. L’autrice, chercheuse en philosophie et enseignante en éthique, critique la réduction du plaisir et de notre vision du monde au « désir-conquête ». Elle interroge notre façon de tout considérer comme un objet de consommation, même nos sexualités. Elle nous propose de passer à une vision du monde éropolitique, décoloniale, antispéciste et queer. Enorme coup de coeur !
Sortir de l’érotophobie et queeriser le désir pour une vraie écologie politique
La crise écologique que nous vivons est, de fait, une crise érotique. La terre est notre partenaire de vie de plus longue date : avec elle nous échangeons flux, microbes, forces, sentiments, projets, conflits, échecs.
Myriam Bahaffou, Eropolitique, écoféminismes désirs et révolution
L’autrice décrie les pays du Nord industrialisés et leur relation toxique à la Terre, en opposition avec les luttes décoloniales qui promeuvent une érotique terrestre. Remettre au centre notre lien érotique avec la Terre, c’est arrêter de la percevoir comme un territoire désincarné à exploiter. Les écoféministes et femmes indigènes ont d’ailleurs toujours pointé la similarité entre la destruction écologique et l’exploitation du corps des femmes. Myriam Bahaffou nous convie donc à « désirer le monde, mouiller pour la planète », embrassant même la mycophilie comme horizon d’un érotisme radicalement écologique.
Tout l’enjeu féministe (de ce livre) est de réinventer une écologie des relations et du désir hors de la conquête et de la prédation. »
Myriam Bahaffou, Eropolitique, écoféminismes désirs et révolution
Dénonciation d’une érotophobie de la culture occidentale, qui réduit le désir au sexe génital hétérosexuel. Un regard qui s’est transformé en violence effective sur les corps racisés et colonisés, toujours perçus comme trop débridés, tout en devenant le terrain d’exploitations sexuelles coloniales. Des fantasmes issus de cette pensée coloniale se ressentent encore aujourd’hui d’ailleurs dans des fantasmes fétichistes du monde du libertinage.
Selon Myriam Bahaffou, « sans queeriser le désir, impossible de dessiner une proposition éropolitique digne de ce nom ».
Au coeur de cette queerisation du désir, l’autrice prend le parti osé d’écrire un chapitre entier sur l’intérêt du BDSM pour penser le consentement, sa dimension éthique et éropolitique. Cependant, elle reste critique à l’égard des notions de « BDSM féministe » et « BDSM thérapeutique », qui relèvent d’un processus de sécurisation blanc bourgeois.

Repenser le militantisme féministe et embrasser une vision eropolitique de la lutte
Myriam Bahaffou ironise légèrement sur la poursuite des feminist sex wars en oeuvre chez les féministes hétéros : « Prosexe comme radicales prétendent avoir la clé de l’émancipation en accusant les autres d’avoir « intériorisé la domination » : la vérité c’est que seul-es les queers et la queerness peuvent nous sauver. »
Pour l’autrice, l’ultra féminité des ultrafems ou des « bimbos » n’est pas juste une soumission à des diktats hétéropatriarcaux, comme l’évoque notamment Ovidie dans son livre La chair est triste, hélas. Elles bousculent quelque chose de l’ordre établi en montrant une féminité qui « prend toute la place et hurle », qui sature « l’espace de performance d’un genre qui se ridiculise lui-même tout en s’adorant ».
Le livre Eropolitique pose également un regard critique salvateur sur les milieux militants queer-féministes. Elle dénonce notamment ce que Robin Diangelo nommerait le « nice racism » à l’oeuvre dans ces espaces. L’autrice souligne que la libération de la parole des femmes est un écho d’une culture blanche bourgeoise, qui a toujours valorisé la retenue des émotions. Mais cette focale exclut d’emblée des personnes racisées, qui n’ont pas de problème à accéder à leurs émotions. D’ailleurs, elles sont même souvent discriminées pour cela (voir le syndrome méditerranéen dans les hôpitaux).

Les espaces de lutte doivent procurer du plaisir, et pas juste du plaisir (branlette ?) intellectuel. Pour l’autrice, le féminisme des femmes blanches du Nord fonctionne sur un modèle libéral « d’arrachement à l’animalité », alors qu’il faudrait oser « devenir chienne » et twerker sur la vie. Myriam Bahaffou nous invite donc à sortir des « politiques sécuritaires du trauma ».
Cette manière de valider toute expérience de « victime » ne peut aboutir qu’à une défiguration du féminisme et à des phénomènes d’exclusion et d’ostracisation à l’instar de la cancel culture qui, dans nos milieux agit comme un poison.
Myriam Bahaffou, Eropolitique, écoféminismes désirs et révolution
Les politiques sécuritaires du trauma sacralisent l’expérience du trauma jusqu’au point où ce dernier définit essentiellement les individus. Par conséquent, le seul paradigme devient nécessairement celui de la sécurité. »
Les féministes sont donc enjointes à opérer une critique interne, pour offrir « un soin féministe et décolonial ». Il ne faut plus céder à un paradigme sécuritaire et préservationniste, et opérer une vraie transformation éropolitique.
Le livre Eropolitique, désirs et révolution de Myriam Bahaffou est un indispensable de toutes vos bibliothèques féministes et révolutionnaires ! Aux éditions Le Passager Clandestin, 22 €.