L’univers « cravache et cuir », c’est un peu la haute couture de la sexualité. D’ailleurs, l’influence du BDSM est de plus en plus importante dans le lit des « couples vanille ». Certaines pratiques, à la base transgressives, renouvellent leurs ébats loin de toute idée de domination/soumission et de douleur. Et dire qu’il n’y a pas si longtemps, les adeptes du BDSM étaient considérés comme des malades mentaux. Quel réjouissant retournement !
Quand 50 nuances s’infiltrent dans les lits conjugaux
Grâce au succès du roman Fifty Shades Of Grey, menottes et martinets ont rejoint les chambres à coucher de Madame et Monsieur Tout-le-Monde. Mais le BDSM lance aussi la démocratisation de nouvelles tendances qui, en passant dans la sphère vanille (sexualité « classique »), se déconnectent complètement des rapports de pouvoir. Exemple de l’influence du BDSM sur la sexualité mainstream : quand Madame pénètre Monsieur avec un gode-ceinture, le fameux pegging appelé aussi chevillage – pourquoi utiliser l’anglais quand le français est si riche ? Si les femmes enfourchent allègrement leur gode-ceinture, elles insèrent aussi dans l’anus de leur partenaire un plug télécommandé ou leur prodiguent un bon massage prostatique. Celui qui n’aura pas exploré l’orgasme prostatique à 50 ans aura raté sa vie. À l’origine, ce sont les dominas comme moi qui manient les pratiques anales sur les hommes alors dits soumis. Mais aujourd’hui, les couples les intègrent dans leur sexualité loin de toute ambiance « menottes-latex ». J’entends par là que Madame pénètre Monsieur au lit avec douceur, doigté, sans l’insulter, sans lui mettre de grandes claques sur les fesses, sans l’attacher au lit, etc. On ne parle plus de dominant/dominé mais de donneur/receveur. Il s’agit juste d’un moment de sensations partagées autour d’un plaisir qui irradie tout le corps, parfois pendant des heures. On peut y voir un élargissement de la palette des plaisirs, une façon de mettre dans sa sexualité « planplan » un peu de piment (c’est une image, je le déconseille en lubrifiant !).

Frustration orgasmique pour davantage de plaisir
Continuons de rendre à César en slip clouté sous sa toge, ce qui appartient à César. Autre pratique qui montre l’influence du BDSM : le tease and denial, en français, déni d’orgasme ou privation d’orgasme. Comment ça marche ? Il s’agit d’emmener le soumis au bord de la jouissance, mais il n’a pas droit à l’éjaculation. Il doit apprendre à respirer profondément, à se détendre et l’envie passe. Plus il répète l’opération, plus son corps comprend le message et ça devient une habitude. Les amateurs de frustration adorent. Ça peut ressembler, en beaucoup moins pénible, au craving de la cigarette ou de l’alcool. Vous en avez envie, mais si vous tenez quelques minutes, ça finit par passer, et bien plus vite qu’on ne l’imagine ! Cette technique est aussi très bien expliquée dans les manuels de Tantra. Dans le cadre d’une sexualité mainstream, la privation d’orgasme peut être très utile. Le rapport sexuel ne s’arrête pas d’un coup parce que l’homme a joui. Comme l’éjaculation entraîne un coup de barre, là il ne perd pas son énergie. Il peut poursuivre l’action longtemps et prolonger le plaisir. La méthode fonctionne assez bien contre l’éjaculation précoce. Dans un cadre de sexualité classique, c’est à l’homme de gérer, il n’y a pas la dimension psychologique du jeu de pouvoir. Mais je le répète, il faut un peu d’entrainement. Ce qui est certain, c’est que cette pratique change la façon d’appréhender les rapports sexuels. Il n’y a plus la notion de performance, de but à atteindre. Nous sommes tous et toutes, beaucoup trop dressés à performer. Mais bon, c’est un autre sujet !
L’influence du BDSM pour sortir d’une sexualité phallocentrée
Dans le prolongement de la privation d’orgasme, la cage de chasteté rencontre un certain succès ces dernières années. Qu’il soit en silicone souple, plastique ou métal, ce jouet fait à l’origine partie de la panoplie du soumis. Dans le cadre de mes séances, l’encagé me remet la clé de la cage. Il faut juste que j’évite de la perdre ! Au sein d’un couple hétéro vanille sans aucune velléité de jeux BDSM, si Monsieur encage son petit oiseau, cela enlève de fait la pression de la bandaison et de la pénétration. La cage crée une contrainte créative, les partenaires doivent imaginer d’autres voies à l’expression de leur sexualité. Pour l’homme, cela lui permettra de développer une sensibilité sur d’autres parties du corps que le pénis. Un public masculin plutôt jeune se sert en solo de la cage de chasteté pour contrer l’addiction à la masturbation liée au porno. Ce qui laisse un gain de temps libre pour s’occuper de soi, faire du sport, perdre du poids, gagner en estime de soi et aussi passer plus de temps avec sa copine ou son mec.
La contrainte rend libre, un vrai sujet de philo ! Dans la veine du développement personnel, il y a la très branchée pratique du shibari. Le bondage japonais esthétique avec des cordes de chanvre ou de jute, se pratique désormais dans des lieux zen plus proches du dojo que du donjon. Pas mal de pratiquants l’ont déconnecté des codes BDSM pour en faire presque une méthode génératrice de lâcher-prise au même titre que la méditation. Bon, je me méfie de ce mélange des genres. Ça laisse le champ libre à des baratineurs. Il y a, là aussi, des phénomènes d’emprise y compris chez certains attacheurs “reconnus”. Le shibari doit se pratiquer avec une personne digne de confiance et en toute bienveillance, parce qu’une fois que le modèle est attaché, il peut se passer n’importe quoi !

Une longueur d’avance sur les questions de consentement
D’ailleurs, la plus importante influence du BDSM porte sur les questions de consentement. En tant que domina, je dois être capable de m’approcher des limites du soumis sans jamais les dépasser. Mentalement, c’est épuisant. Je dois être focalisée sur la personne du début à la fin.
Dans le milieu, le sujet du consentement est débattu depuis toujours. Après #metoo, les féministes du mouvement sexpositif se sont inspirées de ce savoir pour définir des codes très précis permettant de s’assurer du consentement de l’autre. Par exemple : toute autre réponse qu’un « oui » enthousiaste est un « non ». Ou bien quand quelqu’un dit « non », il faut le remercier pour son refus. Encore un exemple : l’accord pour un bisou, un cunnilingus ou des caresses derrière le lobe droit de l’oreille est révocable à tout moment et sans justification. Dans le BDSM, étant donné le côté extrême de certaines pratiques, l’assentiment de la personne soumise doit faire l’objet de toutes les attentions. Il est donc bien logique que ces réflexions fondamentales aient démarré là, entre la cage et le martinet.