Nous vivons en ce moment, et je m’en réjouis, une période de mise en lumière progressive de la communauté LGBTQIA+. Des youtubeurs transgenres, aux acteurs faisant leur coming-out publiquement et fièrement, la scène publique commence à nous octroyer une place. Certes, elle est encore réduite, mais néanmoins présente. La culture queer est moins rangée sous le tapis, comme autrefois. En tant que lesbienne, cette visibilité est un progrès social que j’accueille avec un plaisir non dissimulé et je sabre le champagne à chaque fois qu’il y a un personnage queer dans une série ! Je vous garantis que cet enthousiasme n’est pas si démesuré qu’il n’en a l’air.
L’importance de l’identification dans la construction identitaire
Qui parmi vous ne s’est jamais identifié à un personnage de série, de dessin animé ou de roman ? Personnellement j’aurais adoré être Daria, cette adolescente délicieusement cynique et misanthrope, au grand dam de mes parents. Même si aujourd’hui je me rends bien compte que la frange n’est pas faite pour moi, je ne peux nier l’impact de ce personnage dans ma construction identitaire. Pendant l’enfance et l’adolescence, nous avons besoin de modèles, de repères qui ne sont plus nos parents ; nous sommes un savant patchwork d’une multitude d’influences. Moi, j’ai 21 ans, je suis lesbienne et dans mon patchwork d’adolescente, il n’y avait pas de figure de femme non-hétérosexuelle.
J’ai fait mon coming-out à 20 ans. Le vrai, le terrible coming-out après quelques essais foireux : et non, moi de 15 ans, tu n’es pas bisexuelle, c’est raté moi de 18 ans, c’est pas non plus la pansexualité. Mon goût pour le drama et les films d’auteurs français aurait adoré que je fasse un coming-out difficile, à base de pleurs, de cris et d’embrassades. Et non. Je crois que la phrase qui résume le mieux le chill avec lequel ma famille a réagi à ce qui était finalement un non-évènement, vient de mon petit frère : “franchement ça me ferait juste chier que tu ramènes une copine plus jolie que la mienne”. J’ai conscience de ma chance d’être née dans une famille si ouverte et intelligente, chance que toutes n’ont pas.
S’assumer comme lesbienne sans modèle : mission impossible ?
Cependant, il y a un manque que moi, mais aussi beaucoup d’autres lesbiennes ont vécu, c’est le manque de représentativité. Quand tu grandis en province, sans accès aux réseaux sociaux (j’ai eu Facebook à 17 ans, no judgment please), tu ne sais même pas que c’est possible de ne pas être hétéro, et encore moins d’être lesbienne. Quand j’avais 13 ans, je ne me posais même pas de questions. Je devais être amoureuse des garçons, c’était dans l’ordre des choses, ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. L’attrait que j’avais pour les filles, je l’interprétais comme de l’admiration. Breaking news, je n’avais pas envie d’être elles, j’avais juste envie d’elles. Même si mes parents m’ont toujours dit que je pouvais aimer qui je voulais, cette liberté n’était pas inscrite en moi. Pourquoi ? Parce que la société placardait partout un modèle uniquement hétérosexuel.
Même si cette invisibilité est valable pour toute la communauté LGBTQIA+, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. On voit de plus en plus de personnalités françaises médiatisées comme ouvertement gays, mais la lesbienne est une espèce rare dans cet écosystème. Dans mon adolescence, la situation était encore plus critique ! Les seuls modèles lesbiens qui m’étaient proposés étaient Muriel Robin (drôle mais peu glamour) et Josiane Balasko dans Gazon Maudit. J’avais donc le choix entre la moche mais rigolote et « la camionneuse » prédatrice sexuelle. Dans les deux cas, il était admis qu’une vraie lesbienne range sa féminité au placard.
Le spectre d’identité possible reste toujours très restreint et les images proposées surfent encore majoritairement sur des clichés : cheveux courts, “masculine”, faciès blasé… Est-ce pour rassurer un public masculin pour qui une lesbienne hors cliché est forcément un peu bisexuelle ? On abordait déjà ce phénomène dans l’article Pourquoi la femme bisexuelle fait-elle tant fantasmer ?
Pas la peine d’être un cliché de la lesbienne
Comment se ré-approprier son identité lesbienne sans pour autant écouter en boucle Une femme avec une femme de Mécano ? Malheureusement je n’ai pas sous le coude de recette miracle de type “Comment être une vraie lesbienne en 10 étapes”. Tout simplement parce que tout ça ne veut rien dire. Pas besoin de se conformer à un cliché, pas la peine de se précipiter sur sa chemise à carreaux : la sexualité ne conditionne pas l’apparence ou la personnalité.
Je suis fière d’être lesbienne et je l’assume pleinement, mais je refuse d’être définie par ce que je fais au lit et avec qui. J’estime être un peu plus complexe que les sous-entendus de certaines personnes quand j’ai coupé mes longs cheveux. Bien entendu, une partie des clichés se basent sur une réalité. Je ne nierai pas qu’il existe une communauté, et des codes qui peuvent favoriser une certaine reconnaissance entre ses membres. Mais, refusons d’être réduites à des stéréotypes générés par une massive méconnaissance. Ce flou autour du lesbianisme est si grand que quand (enfin) on en parle, c’est par la voix d’un homme (coucou Abdellatif Kechiche et son film La vie d’Adèle). Par conséquent, on reste dans le domaine du fantasmé, parfois pas bien différent de l’imaginaire homophobe pornographique.
Pour finir, il faut admettre que rares sont les femmes qui embrassent leur lesbianisme dès l’enfance. Moi, comme beaucoup d’autres, sommes passées par des phases de tâtonnement. Je crois que les choses auraient été plus faciles si le lesbianisme était présenté dans les médias sur le même plan que l’hétérosexualité. Ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui. Désormais, les adolescent-es ont accès à des contenus internationaux, qui peuvent laisser la place à la communauté LGBTQIA+. Mais, force est de constater qu’en France nous n’avons toujours pas notre Ellen Degeneres. Alors jeunes queers, foncez sur Internet et exploitez cet espace de liberté et de construction !