Pendant longtemps, je n’ai eu aucun symptôme clair, rien qui annonçait ce qui m’attendait. Et puis, un jour, tout a basculé. Dans cet article, j’ai envie de raconter mon histoire telle qu’elle s’est vraiment déroulée :

  • Comment un gynécologue a déclenché une panique profonde, 
  • Comment d’autres soignant·es ont tenté de réparer ce qui avait été brisé, 
  • Et comment, en tant que femme noire et afro-descendante, j’ai compris que mon corps n’était jamais lu de la même manière dans le système de soins.

Mon parcours médical, je le partage ici sans filtre, avec ses peurs, ses violences et ses réparations. Ce n’est pas pour susciter la compassion, mais pour mettre des mots sur une réalité que trop de femmes noires vivent en silence. Parce que ce diagnostic n’a pas seulement bouleversé ma santé. Il a bouleversé ma confiance, mes repères, et ma manière d’exister dans un système de santé qui parfois, ne sait pas nous voir.

Pause définition : C’est quoi un fibrome ?

Les fibromes utérins (ou myomes) sont des tumeurs bénignes développées à partir du muscle de l’utérus.

Les femmes noires ont un risque 2 à 3 fois plus élevé de développer des fibromes que les femmes blanches. Elles souffrent souvent de formes plus nombreuses, plus volumineuses ou plus symptomatiques, liées à plusieurs facteurs : hormones (œstrogènes), prédispositions familiales… En France, les fibromes concerneraient environ 1 femme sur 3, avec une fréquence qui augmente après 30 ans. Beaucoup sont asymptomatiques et découverts par hasard.

D’autres, en revanche, provoquent :

  • Règles hémorragiques
  • Douleurs pelviennes
  • Fatigue, anémie
  • Difficultés de fertilité ou fausses couches.

Bref : c’est fréquent, c’est bénin, mais ça peut être très handicapant, entraîner des difficultés à procréer, voire causer de l’infertilité.

une feuille qui représente le système reproducteur féminin
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Quand la pression de la maternité s’invite sans prévenir

Depuis que j’ai passé la barre des 35 ans, j’ai une petite voix en fond dans ma tête :

« Il faut que tu te décides pour la maternité. Maintenant. »

Je me suis mise à me sentir en retard, alors que je n’avais jamais eu ce désir d’enfant auparavant. Il y avait :

  • Les check-lists de la société : CDI, appart, couple, bébé
  • Les « et toi, c’est pour quand ? »
  • Les posts de grossesse sur Insta et les potes qui commencent à avoir des enfants
  • Les articles alarmistes sur la “baisse de fertilité après 35 ans” et le “réarmement démographique”

Résultat : j’ai commencé à ressentir un désir pressant d’enfant, alors que je vivais une période de mal-être intense, totalement inadaptée pour envisager cela (burnout pendant plus d’un an). Mais pour dire vrai, je ne savais pas si c’était une réelle envie ou la pression sociale qui fabriquait soudainement ce désir à ma place.

Aller chez le gynéco pour faire un “bilan de fertilité”… avec un sentiment soudain de pression

De base, je vais très peu consulter un.e gynécologue, car j’ai toujours eu des expériences peu agréables, et que chaque rendez-vous est un moment de vulnérabilité. En tant que femme et noire, on sait que le corps médical n’est pas toujours un espace safe. De plus, ma façon de gérer ma sexualité et ma contraception ne nécessitait pas de consulter régulièrement. Et puis j’ai souvent vécu à l’étranger, donc j’évitais les visites médicales non urgentes, afin de limiter les coûts financiers notamment.

Mais la peur de « trop tard » a fini par gagner. Alors je me suis dit : « OK, je vais faire un bilan de fertilité. Au moins je saurai. » J’ai ouvert un site de prise de rendez-vous et j’ai choisi le premier gynéco qui avait de la place rapidement et à proximité. Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait.

Lire aussi : « Comment trouver une-gynécologue respecteux-se »

Le rendez-vous gynécologique cauchemar : aucune explication, aucun consentement

Dès que je suis entrée dans son cabinet, j’ai senti que quelque chose clochait. Il me sortait des phrases du style :

« Vous vous réveillez un peu tard pour vous poser ces questions, non ? »

« À 36 ans, il fallait vous y prendre avant. »

Quand je lui ai demandé de m’expliquer une action qu’il allait effectuer, il m’a répondu avec un ton méprisant : “Ben, vous êtes là pour ça non ?”

Pas de vraie écoute et beaucoup de paternalisme. En plein dans le cliché du médecin, homme blanc proche de la retraite, à l’attitude condescendante. Je me suis sentie infantilisée, jugée, comme une élève en retard qui aurait “mal géré sa vie”. Il a enchaîné les gestes techniques sans m’expliquer ce qu’il allait faire. Pas de : « Est-ce que je peux ? » « Je vais insérer la sonde, dites-moi si ça va. » Rien. Il a enfoncé la sonde vaginale profondément, en silence, sans égard pour mon confort, ma pudeur, mon consentement. Je me suis raidie sur la table.

C’est ça aussi, la violence gynécologique : ne pas juger nécessaire de parler à la personne dont on pénètre le corps.

femme noire qui se tient le ventre et la tête de douleur
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L’annonce des fibromes : ton catastrophé, zéro pause, zéro douceur

Après quelques minutes d’échographie, il lâche :

« Ouh y a beaucoup de fibromes là ! »

Puis, avec un ton catastrophé, il me mentionne directement :

  • Le risque d’infertilité,
  • Il me parle d’hystérectomie comme si c’était une option déjà sur la table,
  • Et me balance que je n’ai quasiment « aucune chance » d’avoir un enfant sans opération.

Je suis encore à moitié nue sur la table, sonde à l’intérieur, et j’apprends, comme ça, que mon utérus est devenu un problème. À aucun moment il ne me demande comment je me sens (excepté à la toute fin de l’entretien, quand je suis devenue blême et muette d’angoisse). Tout est formulé comme une sentence, avec un ton catastrophique et culpabilisant.

Il m’explique également que les femmes afro-descendantes ont plus de prévalence sur l’apparition de fibromes. Et à ce moment-là, je ressens aussi de la colère de ne jamais avoir su cette information auparavant.

Pourquoi personne ne m’en a jamais parlé avant ? Pourquoi n’y a-t-il pas de prévention à ce sujet ?

Il me dit d’aller en urgence faire une IRM pelvienne à l’hôpital, et répète qu’il n’y a “aucune chance” que je puisse avoir un enfant sans opération. 

Je sors de son cabinet en état de choc. Sur le chemin du retour, je me mets à pleurer en pleine rue, où j’entends déjà les scénarios catastrophes : infertilité, opération lourde, utérus en moins… Je me sens coupable d’avoir attendu, coupable d’avoir 36 ans, coupable d’être passée à côté de quelque chose. J’avais l’impression qu’en 20 minutes, mon utérus était devenu une bombe à retardement.

Comment mon entourage m’a aidé à comprendre la violence que j’avais vécue, et à garder confiance en mon parcours de soin

Heureusement, je n’étais pas seule avec cette expérience. Tout le monde m’a dit la même chose : « Ce gynéco n’avait pas à te parler comme ça», « on ne balance pas un pseudo pronostic d’infertilité sur une simple échographie », «tu as le droit à un autre avis, et à des soins respectueux. »

On m’a encouragée à ne pas rester sur ce premier rendez-vous traumatisant, à chercher un-e autre gynécologue, à reprendre la main sur mon parcours de soins. C’est fou comme le regard des autres peut recadrer. Non, je n’étais pas “trop sensible”. Oui, ce que j’avais vécu était problématique, et non une “normalité”.

Je suis allée voir deux autres gynécos (des femmes cette fois) et tout a changé

Tout est différent dès les premières minutes : elles me demandent comment je vais, elles m’expliquent chaque geste qu’elles vont faire, elles demandent mon consentement avant l’examen. Elles prennent le temps de me détailler ce qu’est un fibrome, où ils se trouvent, ce que ça peut impliquer. Elles n’ont aucun discours alarmiste mais m’expliquent concrètement les examens à poursuivre et les risques. Il n’y a ni culpabilisation, ni dramatisation.

Je ressors du cabinet… en souriant, en riant même malgré les inquiétudes.
La situation médicale n’a pas changé.
Mais la façon dont on me parle, oui.
Et ça change tout.

Une des gynécos était une femme blanche et l’autre une femme noire. Je tiens à préciser le genre et la couleur, pour casser aussi les représentations que chacun-e se fait du monde médical et valoriser la diversité de mes soignant-es.

diversité de soignant-es à l'hôpital
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L’IRM pelvienne et la confirmation de la présence de sept fibromes

L’IRM pelvienne confirme que j’ai sept fibromes, dont un placé au niveau de l’endomètre, collé à l’utérus, plus problématique pour une grossesse. On m’explique alors clairement que :

  • si je veux un enfant, il faudra probablement retirer ce fibrome
  • sans cette opération, le risque de fausse couche est élevé
  • ça complique la procréation, mais ce n’est pas le même discours que : « Vous n’aurez jamais d’enfant, il y a des chances qu’on doive vous retirer l’utérus »

Une hystéroscopie diagnostique qui se passe en douceur avec un autre gynécologue (un homme à nouveau cette fois)

Dernière étape : une hystéroscopie diagnostique dans un hôpital privé. 

Le gynécologue (homme blanc, bien plus jeune que le premier gynéco) a été… exemplaire ! Ton doux, rassurant, consentement explicite à chaque étape, explication de ce qu’il va voir et pourquoi. Il me propose même une anesthésie locale pour s’assurer que je ne ressente pas de douleur durant son examen. Pour l’hystéroscopie diagnostique, on insère une sonde avec caméra, qui permet d’aller examiner plus précisément l’utérus, bien voir la taille et l’emplacement du ou des fibromes, et si l’utérus a par exemple des déformations.

Preuve que le problème n’est pas forcément “les hommes vs les femmes”, mais la culture médicale, la manière dont on est formé.es à considérer la douleur, le corps et le consentement des patientes.

Lire également : « Nos corps de femmes malades, mal soignés mais toujours pathologisés« 

Ce qu’on ne sait pas sur les fibromes – et qu’il faut dire

Les études (surtout aux États-Unis et au Royaume-Uni, parce qu’en France on ne collecte pas de données ethniques de la même manière) montrent que les femmes noires ont davantage de fibromes, plus précoces et plus sévères :

  • Entre 18 et 30 ans, environ un quart des femmes noires ont déjà des fibromes visibles à l’échographie, contre environ 6–7 % des femmes blanches ;
  • Au fil des années, jusqu’à 80 % des femmes noires seraient concernées, contre environ 70 % des femmes blanches ;
  • Des études récentes montrent que les patientes noires ont environ 3 fois plus de probabilité de recevoir un diagnostic de fibromes que les patientes blanches.
groupe de femmes de toutes origines ethniques

À ça, s’ajoute une autre couche :

  • Retards de diagnostic
  • Symptômes minimisés
  • Proposition d’hystérectomie plus fréquente alors que d’autres options existent.

La discrimination médicale systémique, ce n’est pas seulement “un mauvais docteur”. C’est un système qui nous considère comme moins crédibles (syndrome méditerranéen), moins prioritaires, moins dignes de soins fins et nuancés.

Lire aussi l’article du blog Tant Que Je Serai Noire : « Le supplice de la goutte d’eau »

Si tu lis mon post et que tu te reconnais (même un peu)

Quelques rappels importants :

  • Tu as le droit de dire stop pendant un examen.
  • Tu as le droit de demander des explications avant chaque geste.
  • Tu as le droit à un deuxième (ou troisième) avis si quelque chose te semble excessif, brutal ou flou.
  • Tu as le droit d’être accompagnée à un rendez-vous si tu te sens fragile.
  • Tu as le droit à des traitements nuancés, pas uniquement au tout-ou-rien (hystérectomie ou rien), selon ta situation.

Et surtout :

  • Tu n’es pas “trop sensible”.
  • Tu n’exagères pas.
  • Ton corps mérite du respect.

(Évidemment, ce témoignage ne remplace pas un avis médical : si tu as des symptômes, parles-en à un·e professionnel·le de santé de confiance).

Mon utérus, mon histoire, notre lutte

Aujourd’hui, je suis encore en chemin : je vis avec ces sept fibromes (a priori asymptomatiques chez moi) et je continue les rendez-vous médicaux pour déterminer la suite. Je continue à réfléchir vraiment, à ce que je veux en matière de maternité, au-delà de ce que la société attend de moi.

Découvrir ces fibromes et savoir qu’il me serait impossible d’enfanter sans passer par une opération est un vrai bouleversement. Désormais, je me sens en pression de “savoir maintenant”. Je ne peux pas avoir la légèreté “de tenter et on verra bien”. J’aurais vraiment aimé avoir connaissance de ce sujet avant. Je me sens aussi en colère du manque d’information médicale sur certains pans de la santé féminine, et femmes racisées en particulier.

Mais une chose est sûre, je refuse que mon utérus soit un terrain d’entraînement pour un sexisme médical et un racisme structurel. Je remercie donc tous·tes les practicien·nes bienveillant·es rencontré·es jusqu’à présent. C’est important de parler aussi des belles choses et des gens qui font leur travail avec professionnalisme, humanité et bienveillance.

Nos corps ne sont pas “problématiques”. C’est le système qui l’est : et il faut continuer à œuvrer pour une médecine plus féministe.