Bisexualités Féministes vient de sortir aux éditions Milgrana et c’est un vent révolutionnaire qui souffle sur la littérature queer. Cette traduction du livre du collectif Bisexuales Feministas offre un panorama des luttes et stratégies bi- féministes argentines. Ce faisant, le livre brise les murs de l’invisibilité bisexuelle. Il pointe les lacunes de représentations et présente la bisexualité comme une puissance politique aussi légitime que l’hétérosexualité et l’homosexualité.
La biphobie, une violence qui vient de tous-tes
Une des thématiques centrales du livre est la dénonciation de la biphobie normalisée et généralisée. Au sein des communautés hétérosexuelles, homosexuelles et féministes, tout décourage à la bisexualité. Souvent vue comme une sous-catégorie de l’homophobie et de la lesbophobie, le livre rappelle que la biphobie est une oppression autonome.
Les lesbiennes radfem (féministes radicales) sont notamment pointées du doigt dans l’ouvrage, pour « l’idéologie de pureté lesbienne » qu’elles défendent. Pour elles, une fille qui n’aurait jamais couché avec un homme est une « pur sang », une « golden star ». A contrario des bisexuelles qui « couchent avec l’ennemi » et seraient des « hétéro-infiltrées ».
Trop souvent les femmes bisexuelles sont pensées comme « à moitié lesbiennes, à moitié hétérosexuelles », ce qui, en plus de constituer une négation de leur identité et de leur désir, les abandonne au milieu du feu croisé des critiques, du discrédit, de la suspicion et d’une fascination malsaine. »
Bisexualités Féministes, María Luisa Peralta
Parmi les adjectifs péjoratifs le plus souvent associés aux personnes bisexuelles, on peut citer : immatures, impostrices, confuses, hypersexualisées, égocentriques / égoïstes, exotiques, superficielles, compliquées, infidèles…

Tous ces préjugés rendent la bisexualité difficile à assumer pour les personnes concernées, ce qui participe à leur invisibilisation. Alors que le B de LGBT est censé démontrer l’appartenance à une communauté queer unie, cette orientation est toujours perçue comme « une phase », une « expérimentation ».
Dans un monde qui valorise le monosexisme (le fait d’être attiré-e par un seul sexe, comme les hétéros et les homos), « les personnes bi sont perçues comme des traîtres potentielles par les deux camps. » La fluidité inhérente à la bisexualité vient bousculer les normes et questionner le binarisme, créant de la méfiance collective.
La bisexualité face au monosexisme
Sigmund Freud voyait la bisexualité comme un « symptôme hystérique », tandis que pour Carl Jung c’était une « projection du désir humain de totalité. » Alors que les détracteur-ices de la bisexualité l’accusent de renforcer le binarisme des relations, le livre explique qu’au contraire elle le déconstruit.
Ca dérange de parler de la potentialité du désir. Ca dérange de parler de pluralité et de fluctuation. La bisexualité s’érige comme une menace. Elle menace tout le monde, avec son caractère mouvant. […] C’est assumer l’incertitude de l’existence , mais pas comme un élément inhérent à la bisexualité (ce serait refaire entrer l’essentialisation) : elle ne fait que la mettre en évidence.
Bisexualités Féministes, Mayra Lucio
Les représentations cinématographiques des bisexuel-les sont à l’image de ce réflexe de binariser les relations bi. Toujours interprétée depuis le prisme hétero ou homo, la bisexualité est souvent pensée avec un imaginaire hétérosexiste. À titre d’exemple, le personnage de Léa Seydoux traite de « pute » le personnage d’Adèle Exarchopoulos dans La Vie d’Adèle, parce qu’elle l’a trompé avec un homme. Le film en général appuie sur l’imaginaire des filles bisexuelles instables ou « en refoulement de leur lesbianisme » et hypersexualisées.

Une des expressions du livre qui reflète bien le caractère particulier de la bisexualité est l’idée de métissage sexuel. Comme les métis raciaux, les bisexuel-les se retrouvent entre deux mondes, qui veulent les limiter de façon binaire, les soupçonnent de trahison et les imaginent perdu-es. Tout comme une personne métisse est souvent confrontée à devoir choisir un camp ou un autre (ce qui n’a aucun sens), une bisexuelle est soit taxée d’hétéro instable, soit de lesbienne (ou gay) qui ne s’assume pas.
Nous bisexuelles, ne sommes pas perdues, nous ne sommes pas des lesbiennes en phase de sortir du placard, nous ne sommes pas dans une « phase », nous ne couchons pas avec des femmes pour divertir les hommes, et nous ne sommes pas non plus complices du système hétéronormatif, machiste et phallocentrique. Nos pratiques et nos subjectivités sont toujouts bisexuelles. Les identifier comme lesbiennes, gays ou hétérosexuelles, ça veut dire ne pas être capable de sortir de la binarité et du monosexisme. »
Bisexualités Féministes, Daniela Portas
« Bisexualités Féministes », pour être enfin « bi-sibles »
Le manque de considération de la fluidité bisexuelle la rend invisible aux yeux de la société. Le regard réducteur porté sur les pratiques bisexuelles rend également difficile l’outing bi. Si une femme bisexuelle polyamoureuse est avec un homme, qu’elle est en relation monogame longue durée avec une lesbienne, ou qu’elle est célibataire, sa bisexualité n’est pas moins valide.
La société pense qu’on navigue entre le fait d’être hétéros/hétéras et de ne pas l’être, alors qu’en réalité, on n’est ni hétéros/hétéras ni tortas.
Bisexualités Féministes, Lucas Guttiérez
Notre désir n’est pas hétérosexuel, il ne dépend pas des personnes avec qui nous relationnons : il circule indépendamment du genre de nos amant-es et c’est aussi pour ça qu’on ne parle pas de génitalité. »
Heureusement, de plus en plus de militantes s’organisent pour former un réseau bi-pan francophone. On peut citer : Bi Pan Paris, Bi Pan Bruxelles, Bi Pan Nancy, le Front d’Action Bisexuel, Le Bistro de Tours, Bi’Cause et les Bisextiles. Ces organismes permettent aux personnes bisexuelles d’avoir leurs espaces d’échanges, de gagner en visibilité et de célébrer la « biphorie » (euphorie bi) !
Même dans les espaces féministes et queer, la littérature bisexuelle est quasi inexistante. Ainsi, Bisexualités Féministes est une ressource essentielle et précieuse pour tous-tes. Pour un livre au style académique, la lecture reste assez accessible et surtout très pertinente pour qui souhaite approfondir son approche théorique de la bisexualité.
Bisexualités Féministes, aux éditions Milgrana. 18,50€