Mesdames, sachez-le, il y a du travail et nous ne sommes pas au bout de nos peines si nous voulons vivre – si toutefois nous souhaitons le vivre – notre post-partum comme il nous chante ou comme il ne nous enchante pas d’ailleurs ! Avec son premier essai, Ceci est notre post-partum : défaire les mythes et les tabous pour s’émanciper, la sociologue Illana Weizman nous informe sur ce sujet classé hautement délicat. Elle nous permet de nous réapproprier ou de conscientiser des moments fragiles de vie quand nous l’avons justement donnée. Le post-partum a longtemps été un sujet tabou et ne doit pas le rester.

Le post-partum, oui, mais encore… ?

Post-partum, qui connaît ce mot trop longtemps ignoré ? Ce qu’il veut dire et plus encore ce qu’il représente dans nos vies de femmes ? « Du latin post (après, derrière) et partus (mise bas), le post-partum désigne la période qui suit l’accouchement », nous éclaire Illana Weizman. Une période taboue de la maternité que l’auteure a décidé de mettre en lumière. Son mouvement #MonPost-Partum, lancé avec trois autres amies militantes, a notamment libéré la parole et permis à de nombreuses femmes de s’exprimer sur le sujet. Les témoignages sont accablants et prouvent qu’il y a une urgence à dire, à informer. En effet, l’auteure décrit un déficit informationnel dans notre société qu’il est temps de réparer, car « une femme bien informée est une femme libre », nous rappelle-t-elle. C’est pourquoi, sans équivoque et sans détour, elle liste les principaux symptômes physiques et psychologiques rencontrés par les femmes après l’accouchement.

Comment une femme pourrait-elle s’approprier ce qu’elle vit si elle ne peut l’évoquer, le partager et même appeler à l’aide ? Pourquoi faudrait-il bâillonner ces instants fragiles de souffrances, de doute, d’angoisse, et de dépression dans de trop nombreux cas ? Sous prétexte que la naissance d’un enfant est un heureux événement dans notre société ? Parce que cela pourrait effrayer et dissuader les femmes nullipares d’avoir des enfants ? Pour l’auteure, tout ceci n’est que tromperie et revient à infantiliser et à garder sous contrôle des femmes qui ont besoin de savoir pour mieux choisir, décider et surtout se préparer. « Il n’y a rien de plus effrayant que de vivre une expérience douloureuse et transformatrice tout en ignorant ses manifestations. » Voilà une réalité tangible dont Illana Weizman a été témoin au travers de nombreux récits de femmes recueillis par la campagne #MonPost-Partum.

La femme n’est qu’un ventre !

L’élément déclencheur du combat d’Illana est l’interdiction de la diffusion aux États-Unis d’une publicité de produits de soin post-partum durant la cérémonie des Oscars. L’auteure réalise alors à quel point la souffrance des femmes est volontairement cachée et analyse l’aspect pernicieux de cette censure. Elle constate qu’en minorant, voire en ignorant, nos douleurs intérieures de femmes, nous finissons par les ignorer nous-mêmes. Le châtiment biblique comme la mythologie de la Grèce antique ne nous ont pas aidées.

Souffrir en enfantant, telle est la punition divine. Se plaindre serait un affront. Pire encore, une femme qui ne peut pas avoir d’enfant est maudite. Elle ne peut s’accomplir sans vivre une maternité, elle est donc vouée à souffrir. Nos sociétés normatives sont construites sur cette idée d’un destin féminin tout tracé : la maternité.

L’accouchement étant le rite de passage pour devenir mère. Triste sort où la condition féminine est donc de souffrir. Il n’y a là aucune place pour l’individualité, encore moins pour nos désirs. Nous ne sommes pas libres de disposer de notre corps. « Le corps des femmes est au service des hommes, et non au leur. »

Nous sommes conditionnées, aliénées dès notre plus jeune âge et recevons des injonctions qui nous réduisent à un rôle reproductif ! Ce qui nous apparaît comme relevant de notre nature est une pure construction sociale et culturelle : « Devenir femme, devenir mère, c’est avoir mal, c’est l’accepter, c’est ne pas s’en plaindre et embrasser cette douleur identitaire. » Mais le mal est fait et notre inconscient collectif s’en défait difficilement. C’est ce que nous expose avec clarté et pertinence la sociologue Illana Weizman. Elle nous raconte que le mouvement #MonPost-Partum est lui-même incriminé par certaines femmes qui voient d’un mauvais œil celles qui ont brisé l’omerta. Les premières sont dans la soumission alors que les secondes sont dans la transgression. Cela ne décourage pas pour autant l’auteure dans son militantisme. Chaque femme doit pouvoir décider de son destin en regagnant la souveraineté de son corps et en se réappropriant son vécu.

La libération passe par une politique progressiste et volontariste

Pour avancer et mieux « défaire les mythes et les tabous » qui emprisonnent les femmes, il faut comprendre leurs sources. Cela n’est pas pour autant suffisant. Si nous voulons de réels changements structurels, il nous faut « prendre la problématique du post-partum par son bout politique ». C’est ce que préconise l’essayiste dont le livre est un appel à briser le silence. Nous devons lever le tabou, informer, relayer, partager, afin que de vraies réformes en matière de santé publique soient adoptées. Pour commencer, la sociologue estime nécessaire de redéfinir le post-partum, tant cette expérience varie d’une femme à l’autre. Lui apposer des mots qui nous parlent et qui font sens serait déjà une avancée, une avancée à dire et surtout à ne plus taire.

À cet effet, l’auteure estime également nécessaire de repenser notre façon de voir la maternité, de casser l’image trompeuse qui est véhiculée autour de celle-ci pour énoncer clairement une réalité :« la maternité, c’est le sublime et l’aliénation ». Il ne faut plus négliger ni occulter le post-partum, mais bien au contraire l’appréhender et le prendre en charge. L’accompagnement et un suivi de proximité à la sortie de la maternité apparaissent comme primordiaux durant cette période de convalescence du corps de la femme. Dans les sociétés traditionnelles, les femmes sont d’ailleurs prises en charge avec attention, soutenues et aidées.

Tout est organisé pour leur donner le temps de se rétablir. C’est pourquoi, Illana propose pas moins de six mois de post-partum incluant les quarante premiers jours à haut risque où un suivi pluridisciplinaire serait mis en place. Pour cela, il serait judicieux que les intervenant.e.s de la santé soient formé.e.s aux difficultés physiques et psychiques du post-partum. Autre détail et pas des moindres, il serait bon et juste d’instaurer un congé coparental de même longueur que le congé maternité afin que les mères puissent être assistées d’un.e partenaire ! Malgré un pas en avant, en France, c’est loin d’être gagné.

« Ceci est notre post-partum, et nous refusons le droit à nos sociétés d’en détourner les yeux plus longtemps. » Après avoir lu le livre d’Illana Weizman, il est impossible de ne pas avoir envie d’asséner cette phrase pour qu’elle soit entendue et surtout prise en compte par les pouvoirs publics. La souffrance endurée dans la solitude et le silence par bien trop de femmes n’est pas acceptable et n’aurait surtout jamais dû l’être. La bataille s’annonce longue, mais cet ouvrage est déjà une victoire et je ne doute pas que nous en connaîtrons bien d’autres. Il appartient à chacune d’ouvrir sa voix mais aussi la voie !Ceci est notre Post-Partum : défaire les mythes et les tabous pour s’émanciper, par Illana Weizman, Marabout, 17,90 €.

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