« Rien ne sert de courir ; il faut partir à point » disait Jean de La Fontaine et cette maxime de vie s’applique parfaitement à la sexualité. Pourtant, les personnes dont le premier rapport sexuel arrive à un âge plus avancé que la moyenne sont souvent incomprises, jugées, considérées « coincées » ou anormales. Nous avons interrogé des femmes et des hommes ayant eu une « virginité tardive » selon l’expression courante. Leurs témoignages permettent de regarder au delà des stéréotypes et rappellent que la sexualité doit être avant tout une démarche personnelle et non une lutte pour faire briller son ego auprès des autres.

La honte d’être « en retard » dans sa sexualité

Le baromètre santé 2016 de l’INPES « Genre et Sexualité » indiquait que l’âge moyen du premier rapport sexuel en France est de 17,6 ans pour les filles et 17 ans pour les garçons, sans réelle différence selon le milieu social. Une donnée qui bouge à peine depuis 30 ans, comme le montre le graphique ci-dessous :

Graphique sur l'âge du premier rapport sexuel en France

Les cinq hommes et quatre femmes qui ont accepté de témoigner pour nous ont eu leur première relation sexuelle entre 24 et 35 ans et sont tous-tes hétéros, à l’exception d’une femme bisexuelle. Il faut savoir que pour l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé), on parle de « virginité tardive » quand le premier rapport sexuel a eu lieu après 19 ans !

Hormis une personne interrogée, tous-tes ont affirmé avoir eu le sentiment d’être « en retard » dans leur sexualité par rapport aux autres. Pour Claire, qui a eu son premier rapport sexuel à 25 ans :

« On se sent en retard, parce qu’en soirée les discussions peuvent facilement dériver sur des conversations cul. Tout le monde a déjà eu au moins une ou plusieurs histoires, les gens échangent sur leurs expériences, etc. On a vraiment l’impression de louper un truc, de passer à côté de quelque chose de cool. On est toujours en position d’écoute et c’est forcément frustrant. «  

La pression de l’entourage (famille, amis, société en général) est d’ailleurs souvent mentionnée comme un élément dur à gérer et provoquant des émotions négatives. Amélie, dont la première fois a eu lieu à 27 ans, rapporte que d’après ses amies « si on était toujours vierge après 20 ans il fallait « sérieusement se remettre en question ». C’est essentiellement le regard et l’attitude des autres au sujet de la virginité qui va alimenter un sentiment de honte, pour la majorité des personnes interrogées.

Louise, première relation sexuelle à 27 ans, reconnaît avoir inventé des histoires pour faire croire à ses proches qu’elle n’était plus vierge, quant à Pierre resté vierge jusqu’à 32 ans, c’est le jugement des autres derrière l’expression « puceau » qui a été dur à vivre.

photo de groupe d'amis pour l'article sur la viriginité tardive

Les mêmes personnes qui ont éprouvé de la honte à être encore vierges, sont aussi celles qui ont indiqué avoir caché leur virginité à leur premier partenaire sexuel. Il est intéressant de noter que deux témoignages mettent la lumière sur le besoin des femmes de se prémunir contre des stéréotypes qui pèsent sur la sexualité féminine. Dans le cas de Claire, elle a menti à son premier partenaire pour qu’il ne se fasse pas de fausses idées sur la situation : « Le garçon avec qui j’ai eu ma première relation n’était pas mon copain et je n’avais pas envie qu’il croie que comme c’était ma première fois, j’étais forcément folle amoureuse ou que j’allais y accorder énormément d’importance. Je ne voulais pas « peser » notre relation avec ça et éventuellement lui mettre la pression aussi. Je lui faisais confiance pour que notre première fois ensemble se passe bien, qu’il le sache ou non, et ç’a été le cas. » Benoît, qui a fait l’amour pour la première fois à 26 ans, explique que c’est paradoxalement sa copine qui a eu peur d’être jugée quand il lui a avoué la vérité sur sa virginité après-coup : « ayant eu une dizaine de partenaires, elle se considérait comme « fille facile » à cause de la société. Du coup, sa réaction a surtout été une peur que moi « de bonne morale » juge la « fille facile » qu’elle se voyait être. »

La vie sexuelle ne se résume pas au sexe en couple et à la pénétration

Notre enquête révèle également à quel point notre société est encore trop étriquée dans sa manière de penser la sexualité. Quand une personne prend plus de temps que la moyenne pour découvrir le sexe avec un-e partenaire, elle va être considérée comme à la traîne, prude, ou associée à une sexualité vue comme hors-norme, à l’image de l’asexualité. Pourtant, avoir une vie sexuelle active ne se résume pas au sexe à deux !

100% des répondant-es ont affirmé avoir pratiqué la masturbation depuis de nombreuses années avant leur premier rapport sexuel à deux. Etre vierge ne signifie pas forcément n’avoir aucune sexualité du tout.

Pour preuve encore, l’exemple de Dana dont le déclic a eu lieu quand elle s’est mise à fréquenter les milieux libertins. Elle fera d’ailleurs l’amour la première fois à 35 ans, avec un inconnu dans un club libertin :

« Ma libido était là, mais le fait de « devoir » me mettre en couple et tout ce qui va avec les relations dites « normales », je n’y arrivais pas car ce n’est pas pour moi. De plus, j’ai beaucoup de mal à faire confiance aux hommes. Il m’a fallu des années pour en parler à un psy et à ma meilleure amie, et oser une autre voie répondant plus à mes envies. J’ai commencé à aller en club libertin et là, cela a fait « boum » dans ma tête ! Je me sentais en confiance dans un endroit qui correspondait à mes fantasmes et petit à petit mes barrières se sont effacées. »

Ce regard biaisé sur la sexualité dite tardive est aussi un signe évident d’une vision de la sexualité qui reste trop phallocentrique (signification : qui rapporte tout au phallus), ou tout du moins pénétrante. Tous-tes les témoignant-es considèrent leur première fois, comme étant un rapport avec pénétration, même si des pratiques orales comme la fellation et le cunnilingus ont également été mentionnées.

Une première fois réussie n’est pas une question d’âge

8 répondant-es sur 9 ont le sentiment d’avoir plutôt subi le fait d’être resté-es vierges que de l’avoir choisi. Pour Benoît, l’agression sexuelle subie par sa petite sœur de 10 ans quand il n’avait que 15 ans, a eu un effet traumatique :  » Je pense qu’à partir de ce moment et pendant quelques années, j’ai vu la sexualité comme une chose mauvaise, qui faisait plus de mal que de bien. Puis, j’ai suivi une thérapie et la sexualité ne m’a plus paru mauvaise. Par contre, j’ai toujours eu peur de faire le premier pas, le geste ou le mot de trop. L’action qui me mettrait à un niveau d’agresseur. Donc j’ai subi cela, mais je m’en suis remis. J’ai choisi de ne pas me précipiter pour que cette première fois soit quelque chose de beau et non un truc fait à-la-va-vite pour rentrer dans les codes. »

couple dans unc adre romantique

Si l’inexpérience face aux partenaires est une des difficultés à gérer, tous-tes ont très bien vécu leur première fois et la majorité constate des effets positifs d’avoir attendu aussi longtemps. Le fait d’avoir découvert le sexe à deux de façon plus mature, respectueuse et saine est un avantage reconnu aussi bien par les hommes que les femmes de notre enquête. Willy, vierge jusqu’à 24 ans, affirme qu’il a ainsi pu « prendre son temps et analyser les erreurs de ses ami-es pour ne pas reproduire les mêmes ».

Claire remarque également qu’elle a « des amies encore traumatisées par des relations sexuelles qu’elles ont eu à 17-18 ans, quand elles étaient mal informées et peut-être plus influençables, et qu’elles sont tombées sur de gros connards. J’ai évité ça, donc je suis assez en paix avec ma sexualité, je n’ai pas vraiment de bagages à porter. » 

À la question « comment vous sentez-vous aujourd’hui dans votre sexualité ? », tous-tes ont affirmé se sentir bien. Des difficultés existent, comme pour Louise qui souffre d’endométriose et Benoît dont la petite amie souffre de vaginisme, mais ces insatisfactions ne sont pas dues à leur sexualité plus tardive et existent aussi chez des personnes ayant fait l’amour plus tôt.

Il est important de se rappeler que la sexualité n’est pas une compétition, bien que nous vivions dans une époque qui valorise l’esprit compétitif dans tous les domaines. Ces témoignages rappellent qu’il n’y a pas besoin de rentrer dans des normes établies pour apprécier sa sexualité. S’écouter est plus important pour l’épanouissement sexuel que d’effectuer des actions uniquement pour « faire comme les autres ». Il sera toujours préférable d’attendre pour avoir une première relation sexuelle que de se forcer et vivre une mauvaise expérience, car vous n’étiez pas prêt-es. La tolérance et le respect de l’autre devraient être toujours au cœur de nos sexualités, et se moquer ou juger une personne vierge est idiot. Faire l’amour à 16 ans ou 26 ans n’est pas plus ou moins respectable, ce sont simplement des expériences différentes et des désirs qui se manifestent de façon variée. Comme le dit le témoignage de Claire « au final, il faut s’écouter et être patient avec soi-même, si l’entrée dans la sexualité est désirée elle arrivera« . Leçon à retenir.

Note : Chaque répondant-e a choisi librement le prénom qu’il-elle souhaitait pour citer son témoignage.