Avec une mise en abîme féministe du roman érotique, l’autrice Camille Emmanuelle est peut-être en train de créer un nouveau genre littéraire. J’ai découvert le nouveau roman de Camille Emmanuelle, Cucul, et ne sais pas vraiment si j’assume de l’avoir dévoré !
Un roman léger qui ne veut pas l’être
Entre le film Barbie et Mona Chollet, bien que les deux puissent se ranger dans la catégorie “féministe”, il n’empêche que l’écart reste grand. Et c’est ce que j’ai ressenti en lisant les aventures de Marie Couston, prof de français de 32 ans, remplaçante dans un lycée catholique parisien, cette impression d’être perdue entre deux mondes.
D’un côté, j’ai tout de suite reconnu une écriture efficace et extrêmement accessible. Tout ce qui caractérise les petits plaisirs coupables de fin de journée : on débranche le cerveau et on se laisse divertir par une intrigue qui est légère et relativement originale. Le personnage de Marie Couston est prof de français de jour et autrice de romances érotiques la nuit, mais sa vie bascule le jour où le héros stéréotypé qu’elle a créé pour les éditions Sensuelle se réveille sur son canapé Ikea.
Je sentais bien que les personnages secondaires allaient s’avérer bien plus profonds et clés que ce que le roman laissait paraître. Je savais aussi que Marie allait traverser plusieurs épisodes de remises en question, avant de découvrir que c’était finalement en elle que le changement devait s’opérer pour accéder au bonheur.
D’un autre côté et l’air de rien, Camille Emmanuelle nous déroule un condensé de théories féministes sans jamais nous faire la leçon : l’ambivalence du désir féminin, entre les fantasmes qui nous ont construites et les valeurs post-modernes après #MeToo ; la nécessaire réinvention du couple et de la sexualité ; l’importance de la fiction dans la construction de nos attentes et nos mentalités ; la domination et sa place dans l’excitation érotique.
Cucul est un livre utile et plus ironique que prévu
Finalement, la référence au film Barbie est tout à fait à propos. Car ces deux oeuvres m’ont fait le même effet : en tant que femme documentée sur les questions de genre et de féminisme, je trouve certaines propositions très “bateau”, je vois le truc venir et je me dis qu’on frôle le cliché. Mais, si je cesse d’oublier que ces mêmes références ne sont PAS connues, ou pas assez, du reste du monde civilisé, alors je me retrouve face à un ouvrage utile tout en restant ludique et accessible.
Finalement, n’a-t-on pas aussi besoin que les théories féministes envahissent les œuvres plus banales et moins intellos ?
Et puis, quel bonheur de lire Cucul juste après avoir découvert la série The Ruinous Love de Brynne Weaver ! C’est comme avoir découvert des pâtisseries un peu trop gourmandes (le style dark romance de The Ruinous Love) et ensuite lire un livre entier (là je parle donc de Cucul), qui décrypte la recette calibrée et quasi caricaturale de la nouvelle romance érotique pour adolescent.e.s, via le personnage de l’éditrice déshumanisée de Marie. Félicitations à Camille Emmanuelle pour ce tour de force !
Ce livre m’a vraiment donné envie de lire ses autres écrits, comme l’excellent Sexpowerment ou Le goût du baiser.
Cucul, Camille Emmanuelle, 256 pages, 19,50€
Label Verso, Editions du Seuil