L’orientation sexuelle des humains est constamment abordée via des étiquettes. On parle d’hétérosexualité, d’homosexualité, de bisexualité, d’asexualité, ou encore de bicuriosité. Quand une personne se dit bicurieuse, elle indique aux autres qu’elle a des attirances bisexuelles, mais qu’elle est encore en phase d’expérimentation de sa bisexualité et qu’elle ne se considère pas encore vraiment bisexuelle. En mettant l’emphase sur une incertitude de l’orientation, ce terme renforce la marginalisation de la bisexualité dans l’espace public, et des personnes qui s’interrogent sur leur orientation sexuelle ou sont bisexuel-les.
Etre bicurieux ou bicurieuse : une expression biphobe ?
Le terme bicurieux serait né dans le monde anglo-saxon entre les années 80 et 90. Il coïncide avec une période de plus grande visibilité des bisexuel-les aux Etats-Unis. En effet, c’est en 1987 qu’a eu lieu la première manifestation bisexuelle nationale, c’est en 1990 que la première organisation nationale bisexuelle s’est créée et a organisé une conférence, et c’est en 1998 qu’est né le drapeau officiel des bisexuel-les.
Bi-curieux est un mot-valise, qui associe bisexualité et curiosité. Le Wiktionnaire définit le bicurieux comme étant une « personne qui s’intéresse à sa bisexualité », tandis que les dictionnaires classiques français ne proposent aucune définition pour ce terme. Côté anglo-saxon, le Merriam Webster y voit une « personne curieuse d’explorer ou d’expérimenter la bisexualité ». C’est donc un mot qui ne peut être pensé sans se poser la question de la définition de la bisexualité. Selon l’association Bi’Cause, première association porte-parole des bisexuel-les en France depuis 1997, la bisexualité est « le fait d’éprouver de l’attirance sexuelle et/ou émotionnelle et/ou sentimentale pour les personnes de tous sexes et de tous genres. »
L’influenceuse américaine Gabrielle Alexa et fondatrice du Bi Girls Club, estime que le problème du terme bicurieux est qu’il « reflète une croyance selon laquelle l’orientation est quelque chose qu’on doit explorer sexuellement et romantiquement avant que ce ne soit réel »1. Le terme bicurieux-se semble être le symptôme de l’invisibilité de la bisexualité dans la société. D’un côté la femme bisexuelle est objetisée et vue essentiellement comme un fantasme pour hommes, de l’autre la bisexualité des hommes est totalement inexistante publiquement.
Même dans la pornographie, qui est pourtant la caverne d’Ali Baba de tous les fantasmes possibles et inimaginables, la bisexualité masculine reste peu présente. Constat similaire dans le milieu libertin, qui valorise et encourage la bisexualité des femmes, mais a plus de mal avec celle des hommes. Cette différence de traitement soulève la question de l’influence homophobe dans le regard qui est porté sur la bisexualité, mais aussi de la force oppressive des clichés sur la virilité masculine.
La bisexualité souffre de préjugés, même au sein de la communauté LGBT
La bisexualité continue de souffrir de préjugés, même si nous pouvons espérer que la plus grande visibilité des différentes sexualités grâce notamment aux blogs, aux réseaux sociaux, aux séries et films, mais aussi aux productions porno alternatives, vont aider à faire bouger les lignes de plus en plus. La Journée Internationale de la Bisexualité qui a lieu tous les 23 septembre est aussi un moyen de normaliser et mettre en lumière cette orientation sexuelle.
Dans une vidéo (ci-dessous), le youtubeur sexo M’Sieur Jérémy se livre sur son expérience d’homme bisexuel et partage les préjugés dont il peut souffrir au quotidien. Parmi ceux-ci, il y a celui d’être mis dans « la case d’un mec qui ne s’assume pas en tant qu’homo ». Préjugé présent notamment au sein de la communauté homosexuelle gay. « Il y a un groupuscule de personnes, plutôt dans le milieu gay masculin qui pense qu’on est soit gay ou hétéro », ajoute-t-il.
Une enquête nationale sur la bisexualité menée en 2015, par SOS Homophobie, Act Up-Paris, Bi’Cause et le MAG Jeunes LGBT montrait que les gays présentaient le plus faible pourcentage définissant la bisexualité comme “une orientation sexuelle” et le plus fort pourcentage la définissant comme “un passage”. La communauté LGBT ne serait donc pas aussi soudée que le laisse penser l’acronyme, vis-à-vis des groupes de personnes s’identifiant comme « B ». L’enquête mettait aussi en exergue le manque de confiance envers les personnes bisexuelles, qui seraient nécessairement plus infidèles que les autres. Un cliché que déplore M’Sieur Jérémy dans sa vidéo et présent dans l’histoire de la création de l’association Bi’Cause, initiée par des femmes bisexuelles se sentant rejetées par un groupe de femmes lesbiennes.
Bicurieux-se ou bisexuel-le, dans tous les cas ce n’est pas pris au sérieux
Personne ne parle « d’homo-curiosité » ou de « lesbi-curiosité », seul les bi-es ont un terme de cet acabit. Côté hétéro, il existe le terme « hétéroflexible », défini par Wikipédia comme étant « un homme ou une femme, qui sans être homosexuel ou bisexuel, peut se laisser tenter par une relation homosexuelle ». L’hétéroflexibilité apparaît donc ici comme un degré déculpabilisant en dessous de la bicuriosité et encore plus en dessous de l’homosexualité. Il est facile d’observer que ces terminologies sont la preuve d’une biphobie évidente dans nos sociétés. La biphobie ordinaire est d’ailleurs très bien mise en avant sur le compte Instagram @payetabi qui partage des témoignages pour la dénoncer.
Il y a une réticence ou difficulté à considérer la bisexualité comme étant une vraie orientation à part entière et à ne pas la voir uniquement comme un passage, une lubie de jeunesse. Le mot bicurieux-se est problématique car il renvoie au préjugé de l’incertitude et du manque de fiabilité des personnes bies, qui seraient forcément « perdues entre deux », des boulimiques de sexe et forcément ouvertes à des plans à trois.
Or, entre 1948 et 1953, le Dr Alfred Kinsey considéré comme le « père de la révolution sexuelle », avait conçu une échelle allant de 0 à 7, montrant que la sexualité de chacun.e d’entre nous n’est pas forcément juste hétérosexuelle ou homosexuelle.
Nous pouvons avoir des moments de notre vie où nous nous interrogeons sur notre orientation sexuelle (notamment au moment de l’adolescence) et dans ces cas, avoir un terme qui retranscrit nos questionnements peut être utile pour arriver à mettre des mots sur ce qu’on ressent. Par ailleurs, il n’y a rien de mal à admettre une fluidité dans notre orientation sexuelle, qui n’a pas d’obligation à rentrer dans une case précise et peut évoluer avec le temps. Le mot bicurieux n’est donc pas mauvais en soi, mais dans les faits il démontre une difficulté certaine de notre société à accepter l’idée qu’on puisse être sincèrement attiré-e et aimer différents types de personnes, quel que soit leur sexe ou leur genre, et renferme trop de préjugés pour ne pas s’interroger sur le bien-fondé de son utilisation.