Aïe aïe aïe, c’est l’organe dont on ne prononce pas le nom quand on parle de sexe… L’intestin ! Pourtant, il y a bientôt un an, j’ai été diagnostiquée avec un syndrome de l’intestin irritable (aussi appelé SII) qui, en plus de son impact sur ma vie sociale en général, m’a amené inexorablement à franchir ce tabou. Dans notre société c’est déjà compliqué de parler de sa digestion ou de ses flatulences quand on partage un moment intime, alors imaginez quand votre ventre est en vrac en permanence ! Ça peut devenir un vrai blocage au moment de faire l’amour.
J’ai appris récemment que plusieurs études avaient été menées concernant l’impact du SII sur la sexualité des patients (principalement des femmes hétérosexuelles) grâce à ma psychologue, Clara Berthelot, qui porte un grand intérêt pour l’étude de ce syndrome.
Quelques chiffres sur l’impact du SII sur la sexualité
Voici donc quelques chiffres d’une étude française réalisée en 2018 par la SNFGE (Société Nationale Française de Gastro-entérologie) :
- Parmi les personnes touchées par un syndrome de l’intestin irritable sévère, environ 2 femmes sur 3 développent des dysfonctions sexuelles
- 1 homme sur 2 développe des dysfonctions sexuelles et érectiles sévères à moyennement sévères
- Cela peut aussi avoir des répercussions sur la sexualité des conjoint.e.s qui en seraient impactés dans près d’un cas sur deux
Mais pas de panique, ce n’est pas définitif ! Ça demande juste un peu plus d’investissement et de recherche, et vous finirez sûrement par trouver ce qui nourrit votre plaisir sans vous ballonner. Je vous partage ici mon expérience, ainsi que celle de Mme Berthelot à travers son travail et celui de ses collègues psychologues et sexologues. Vous y trouverez peut-être quelques clés de compréhensions et, je l’espère, quelques solutions !
Nos intestins et l’intimité, un tabou déjà difficile à dépasser
Petit point général sur l’importance de ne pas se sentir gêné-e d’avoir des gaz, la diarrhée, le ventre ballonné, mal au ventre ou d’être constipé-e… Il arrive qu’on oublie une réalité simple et naturelle : cet être si désirable qui se tient en face de nous et excite tout nos sens, dont la chair nous appelle et fait pulser notre sang intensément, cette délicieuse créature, pète et fait caca, comme nous. Une fois cette idée imprimée dans notre esprit, ce n’est toujours pas si facile en pratique de se détendre.
Qu’est-ce que le Syndrome de l’Intestin Irritable ?
Le syndrome de l’intestin irritable, késako ? Toujours selon la SNFGE « Il s’agit d’une pathologie chronique (au moins 6 mois d’évolution) associant des douleurs abdominales et des troubles du transit intestinal comme des épisodes de diarrhée ou de constipation voire une alternance des deux ». Elle précise également que c’est « une authentique maladie digestive, bénigne et fréquente mais trop souvent négligée alors même qu’elle retentit parfois gravement sur la qualité de vie. ». Chacun aura donc un package de symptômes différents : diarrhée, constipation, ballonnements, gaz, douleurs dans différentes parties de l’abdomen, spasmes, voire même des bouffées de chaleur, céphalées, fatigue importante etc.
Suite à ces manifestations physiques ou en amont de celles-ci (tout dépend d’où vous en êtes dans le cercle vicieux que peut être ce syndrome), il y a parfois une/des manifestation(s) psychologique(s) comme de l’anxiété, des TCA (troubles du comportements alimentaires), un manque de confiance en soi, une grande sensibilité… Cela peut aller jusqu’à un fort sentiment de mal être, voire une dépression.
Bien sûr, on peut tous-tes expérimenter un ou plusieurs de ces symptômes sans être forcément malade. C’est pourquoi il est important de se tourner vers des professionnels de santé spécialisés (médecin traitant, gastro-entérologue, diététicien-nutritionniste et ne pas négliger l’aide d’un psychologue, je peux vous le dire), pour en discuter et se faire diagnostiquer. Attention, il n’existe pas d’examen biologique, car cela n’est pas dû à une anomalie des organes détectable à ce jour, mais d’autres examens permettront d’éliminer d’autres pathologies graves.
Comment le syndrome peut impacter la sexualité de ses porteurs (et de leurs partenaires) ?
Quand le corps et l’esprit disent non
Votre partenaire a soudainement envie de vous faire l’amour ? Bof, quand on a le ventre tendu et gonflé de gaz, une douleur lancinante sur le côté droit ou qu’on a passé la journée à se vider aux toilettes. Les porteurs du syndrome sont souvent plus fatigués à cause de leurs symptômes et cela laisse peu de place à la spontanéité !
Mme Berthelot rapporte que la vision d’un corps dysfonctionnel peut entraîner une dépréciation de soi et des difficultés à lâcher prise. Les patientes parlent souvent de douleurs dans des positions de pénétration (que l’on appelle dyspareunies), la peur d’avoir mal ou que ça ne « marche pas ». Je ne compte plus les fois où j’ai ressenti ce coup de poignard dans mon ventre, alors que mon plaisir était presque à son paroxysme. Et encore plus les fois où j’ai dis non alors que j’allais bien, simplement parce que je ne voulais pas risquer de saboter ce moment de calme dans mon corps.
La communication, une clé pas facile à trouver
« En fait en ce moment je n’arrive pas trop à aller aux toilettes, donc j’ai pas trop envie d’être remuée tu vois ? » Il m’en a fallu du temps avant de dire les choses clairement. Moi qui essaie de beaucoup communiquer, je ne sais pas toujours poser des mots sur mes maux et les exprimer sans gêne.
Comme quoi, une bonne communication ne suffit pas forcément à battre l’association de ces deux tabous que sont le sexe et le caca…
Rajoutez à cela le fait qu’il est difficile de décrire ses symptômes et leurs durées quand on n’arrive pas bien à les identifier soi-même ! Par conséquent, la plupart des patientes disent ne pas arriver à en parler du tout et il devient difficile de savoir quand sera le bon moment pour laisser venir le plaisir.
Ainsi, la solution dépendra de chacune. J’ai choisi de me laisser du temps et de d’abord dire que je ne savais pas trop expliquer pour le moment, puis à force de connaître mes symptômes, d’être assez crue dans mes propos en décrivant ce qui se passait.
Vous pouvez essayer de définir et exprimer vos besoins spécifiques, sans forcément parler de votre pathologie, même si à long terme il sera sûrement préférable de le dire pour votre confort. Et si les mots vous échappent ou que vous vous sentez trop mal à l’aise pour une explication sur votre SII et votre intimité, Mme Berthelot suggère de présenter à votre partenaire des supports médias qu’il pourra consulter lui-même : cet article par exemple, des sites ou blogs sur le sujet du syndrome de l’intestin irritable (je vous recommande le site Ginette et Josiane) ou encore des comptes instagram dédiés au sujet.
Les patientes atteintes de SII sont-elles plus souvent célibataires ?
C’est la question que l’on s’est posée avec Mme Berthelot. Bien qu’il soit difficile voire impossible d’en avoir la réponse, cela permet surtout d’illustrer la difficulté des patientes à établir une intimité avec des partenaires.
Le jour où je suis allée manger au restaurant pour la première fois avec mon compagnon, j’ai réalisé à quel point c’était banal pour les autres, mais si important à mes yeux. C’était ma petite victoire à moi et à nous, la preuve que je pourrai avoir une vie de couple « normale ». L’importance que j’y ai accordée réside dans le fait qu’un début de relation implique souvent la création d’une intimité, d’une proximité physique, de moment à deux et de beaucoup de repas ensemble… Vous voyez où je veux en venir ? C’est tout ce que je fuyais absolument !
Même une fois passée cette étape, le couple reste une zone complexe à gérer avec le SII :
« Tout l’espace du couple est teinté du syndrome et de stress. Ça prend de la place dans la vie, dans le sexe, dans le couple.» m’a dit ma psychologue. Elle souligne également que même anticiper un moment positif à deux devient difficile et rare, car on anticipe plutôt le négatif qui pourrait nous arriver.
Dans tout ça, notre partenaire et sa propre libido s’en trouvent généralement impactés. Mais, avec un peu de patience on peut arriver à trouver un rythme ensemble, ne pas subir la douleur pour faire plaisir et aussi apprendre à se rassurer l’un l’autre pour ne pas laisser de place à la culpabilité ! Surtout que l’autre peut se retrouver un peu démuni-e, car même si on parvient à lui en parler et lui demander de l’aide, encore faudrait-il savoir ce qu’on lui demande exactement ? J’ai souvent l’impression d’avancer à tâtons, mais finalement on a trouvé la bonne dynamique à deux, et c’est devenu moins effrayant.
Quelles pistes pour se sentir mieux avec le syndrome de l’intestin irritable?
Attention, ici pas de solutions miracles ! Simplement quelques idées, astuces, expériences et théories psychologiques que Mme Berthelot et moi-même avons réunies. Mais encore une fois, n’hésitez pas à consulter directement un-e professionnel-le de santé si la gestion de votre syndrome et votre sexualité vous pose trop de difficultés.
Je me souviens encore de ma première séance avec Mme Berthelot. Quand on a parlé de mon SII et que j’étais persuadée que ma vie n’allait être qu’un enfer en faïence, elle m’a dit cette phrase « Ce qui est bien, c’est que vous n’avez pas d’autres choix que d’avoir une vie sympa ». Par là, je crois qu’elle voulait dire que j’allais devoir faire des choses que j’aime, fréquenter des gens compréhensifs et bienveillants, prendre soin de moi, pour ne pas déclencher et subir trop de symptômes. Cette théorie de « la vie sympa », elle s’applique aussi sur le terrain de la sexualité que l’on peut rendre de nouveau attrayante et épanouissante, si si, croyez-moi !
Premièrement, faire ce qu’on aime, quand on aime
Ou comme l’a dit une amie sexologue de Mme Berthelot : Je fais comme je veux, comme je peux !
Gardez en tête que toute les pratiques sexuelles sont envisageables, peut-être pas tous les jours, mais profitez-en pour enrichir votre palette d’une variété de pratiques qui vous plaisent : c’est la garantie d’une sexualité sans routine, sans ennui !
Pour les dyspareunies, il vaut mieux éviter les positions de pénétration profondes, voire la pénétration tout court quand ce n’est pas le moment… Alors, à votre créativité ! On sous-estime les frissons que donnent des caresses, des baisers, des morsures, sur tout le corps, la chaleur que procure un baiser fougueux qui dure de longues minutes, la patience et la frustration qu’on peut créer en jouant avec les seins, ou encore le légendaire et jouissif cunnilingus !
Deuxièmement, trouver son partenaire particulier, particulièrement génial !
Là encore, on n’a pas le choix, adieu les bad boys qui nous négligent et ne pensent qu’à leur jouissance personnelle, ouvrez grand vos bras pour accueillir le fameux mec trop gentil ! Mais si, vous savez, celui qui est à l’écoute de vos besoins, qui ose communiquer sur le sexe, qui ne vous fait pas culpabiliser de ne pas ou plus avoir envie, qui pratique l’after care et qui s’intéresse à votre clitoris ? Oui ? Et bien c’est lui qu’il vous faut.
Revenons sur l’importance de l’after care, soit le fait de continuer à prendre soin de l’autre après avoir fait l’amour. Cette pratique nous vient du BDSM et permet d’accorder de l’attention à l’autre après une expérience sexuelle intense, qui impliquait potentiellement une forme de douleur. Ça m’a fait tilt quand Mme Berthelot m’a partagée une suggestion d’une de ses collègues, à propos des personnes atteintes du SII qui viendraient à stopper un rapport à cause de la douleur : il est important que la douleur ne gagne pas, ne termine pas l’acte. Pourquoi ne pas orienter le moment d’une autre manière pour y retrouver du positif ? Continuer à faire l’amour mais autrement, s’arrêter mais se câliner. À vous et votre partenaire de voir ce qui vous permettra de finir sur un moment agréable !
Je rajouterai ici un petit bonus pour les hommes concernés par le syndrome, car comme me l’a dit la thérapeute, ceux-ci subissent déjà un tabou concernant les dysfonctions sexuelles et la pression d’être à l’initiative et aux commandes de l’acte. Messieurs, vous aussi, pour votre bien-être, vous n’avez pas d’autres solutions que d’avoir des relations déconstruites : pas de sexisme ni de votre côté, ni de l’autre, pour que vous puissiez vous soulager de ces poids !
Troisièmement, ta santé mentale tu ne négligeras point
Ce qui se passe en haut peut affecter ce qui se passe en bas, et vice-versa. Alors qui de l’œuf ou la poule ? Difficile à dire. Mais les spécialistes vous le diront : mieux vaut entamer un travail simultané sur ces deux pôles pour enrayer ce cercle vicieux.
Dans mon cas, après cette double prise en charge et le retour d’un petit équilibre, j’ai choisi de me concentrer sur ce qui me soulageait le plus à mon sens : mes deux séances mensuelles avec ma psychologue.
Ce qui m’obsédait dans ma vie sexuelle (c’est toujours un peu le cas), c’était la peur d’avoir mal et, ô surprise, je ne suis absolument pas la seule ! Je vous glisse ici quelques conseils de Mme Berthelot à ce propos : évidemment ne vous forcez pas, allez-y petit à petit en essayant d’identifier ce qui vous fait mal, d’évaluer votre seuil de tolérance et, on ne le dira jamais assez, prenez votre temps.
Parfois, j’ai un sentiment de culpabilité quand je dis non ou que j’arrête le rapport, et là je suis sûre qu’il n’y a pas besoin d’avoir des problèmes de santé pour savoir de quoi je parle… Quoi de mieux qu’une société patriarcale pour mettre une pression sur nos performances sexuelles et notre capacité à satisfaire l’autre ?
Si vous culpabilisez, faites-en part à l’autre en le mettant face à vos limites physiques qui vous sont douloureuses, ou bien en l’interrogeant sur ses besoins à lui pour décentrer votre culpabilité. D’ailleurs peut-être qu’il ressent lui aussi de la culpabilité à ce moment là ou à un autre ?
Quelles que soit vos pensées ou vos émotions qui vous traversent dans votre sexualité avec le SII, l’important c’est de ne pas les laisser vous dépasser ! Vous pouvez adapter les méthodes à vos besoins et vos émotions, en allant voir un psychologue bien sûr, mais aussi en essayant la cohérence cardiaque, l’hypnose, l’EFT (Emotional Freedom Technique), la théorie polyvagale ou encore la méditation en pleine conscience.
Ce que je retiens après un an de questionnements, de victoires, de doutes et encore de succès, c’est qu’il me reste encore du chemin à parcourir pour trouver l’équilibre dans ma vie sexuelle, mais que celle-ci n’a jamais été aussi riche, bienveillante et intrigante qu’avant. Malgré tout ce dont je m’étais persuadée au départ, on s’en sort ! Mme Berthelot me suggérait qu’avec le temps, les patientes atteintes du syndrome de l’intestin irritable finissaient peut-être par avoir une sexualité plus épanouie que les autres, car elles sont poussées à explorer leur plaisir… Et vous ? Quelle future aventurière du sexe allez-vous devenir ?