Avoir un amant, c’est la quintessence de l’interdit. Dans des sociétés monogames et patriarcales, la femme qui s’autorise une aventure extra-conjugale représente l’impiété absolue, la rébellion et le danger. Le danger, car avoir un amant c’est remettre en cause tout un système ordonné autour du couple exclusif et de l’image de la femme fragile. L’interdit pèse donc sur l’amant, comme s’il était normal et évident de restreindre les pulsions sexuelles et sentimentales des humains. Ironie du sort : c’est cet interdit qui donne vie au fantasme de l’amant, à son existence et à tout son attrait.
L’amant : emblème de la transgression de l’amour
Le mot « Amant » est défini ainsi sur Wikipédia : « nom commun qui désigne une personne qui aime ». Je trouve cette définition belle et intéressante. Elle comporte en elle une des raisons qui associe éternellement le mot amant à l’amour, au delà de la source étymologique. L’amant est celui qui aime. Etre un bon amant au lit est une expression connue de tous.tes et qui représente une forme d’idéal pour les hommes, comme pour les femmes. Etre un bon amant (ou une bonne amante), ne serait donc pas seulement lié à des capacités sexuelles performantes comme on pourrait avoir tendance à le penser. Les qualités d’un bon amant seraient aussi dans sa capacité à bien aimer l’autre. A lui offrir des moments de beauté dans lesquels l’amour serait au cœur avant toute autre chose.
Le Larousse définit l’amant avec le sens communément reconnu de tous : « Homme avec qui une femme a des relations sexuelles en dehors du mariage. (En ce sens, le féminin est maîtresse.) » Ici, l’amant n’a d’existence que s’il y a mariage. C’est donc un cadre juridique qui lui confère son statut. Ainsi, l’amant ne peut être dissocié de l’existence de la monogamie, régime juridique n’autorisant à un homme de n’épouser qu’une seule femme et pour une femme qu’un seul homme. À partir du moment où il y a autorisation, c’est donc que tout ce qui sort du cadre de cette autorisation est a priori dans l’interdiction. À partir de là, l’amant est celui qui aime, mais qui est interdit d’aimer. Terrible destinée.
De mon point de vue, ces deux définitions mises ensemble mettent en exergue tout l’imaginaire passionnel autour de la question de l’amant et sa force fantasmatique. L’amour, valeur positive suprême, aurait donc des limites à ne pas franchir, alors qu’il s’agit en même temps d’un idéal recherché. Comme toute limite, il y a toujours des malins pour vouloir les transgresser, et l’amant est l’emblème même de la transgression de l’amour. Comme quand on est petit et qu’on fait une bêtise sans avoir été remarqué par les parents, la transgression amoureuse avec l’amant apporte ce sentiment d’avoir été capable d’agir hors diktat, à contrario de l’ordre établi et imposé. Il y a donc un sentiment inavouable de liberté absolue qui grise l’âme.
Sans amant pas de passion
« Elle se répétait : J’ai un amant ! un amant ! se délectant à cette idée comme à celle d’une autre puberté qui lui serait survenue. Elle allait donc posséder enfin ces joies de l’amour, cette fièvre du bonheur dont elle avait désespéré. » Madame Bovary, Gustave Flaubert.
Emma Bovary est le personnage par excellence, qui se laisse envahir par l’image de l’amour qui lui est communiquée dans les romans qu’elle lit. A force de lire l’amour, on finit par croire qu’il ne ressemble qu’à ces lectures. Dans la littérature ou dans le cinéma, l’amant est passion. L’amour ultime se vit dans la passion. Seulement, étymologiquement passion signifie « je subis/je souffre ». La souffrance est donc associée au divin amoureux dans notre inconscient collectif. Le véritable amour, celui qui nous retourne et nous grandit, est celui qui touche à nos travers, qui nous brûle de l’intérieur, qui nous consume à en crever. Nous ne sommes réellement amoureuses que si comme Francesca, nous hésitons entre rester dans la voiture avec notre mari et se jeter à corps perdus sous la pluie pour rejoindre Clint Eastwood et quitter à jamais la route de Madison. L’amant est notre Roméo et nous sommes sa Juliette. Nous savons d’avance que notre amour ne pourra pas se vivre au grand jour, qu’il est voué à être dissimulé, et à se satisfaire de cette mascarade, et pourtant on y va, car la puissance du rêve passionnel est plus forte que tout. On y va quand même, car l’interdit stimule et propage le désir en nous telle une tumeur délicieuse qu’on ne peut stopper. Par opposition à la relation monogame, supposée être tranquille, sans montagnes russes émotionnelles,peut-être trop tranquille. La constance ne serait-elle bonne que pour des ridicules comme le pensait le Don Juan de Molière ?
Fantasme de l’amant et libération sexuelle
Il est très rare de vouloir un amant dans le but de se fermer à sa sexualité ou de la rendre plus mauvaise qu’elle ne l’est. Le fantasme de l’amant, c’est aussi celui de tomber sur son dieu du sexe. Christian Grey a excité dans les chaumières, car il représente cette image de celui par qui a lieu la délicieuse transgression, qui nous fait découvrir les faces les plus sombres et excitantes de nous-mêmes. L’imagination sexuelle est essentielle pour susciter le désir et l’avantage de l’amant dans l’adultère réside là : il est inaccessible, caché, rarement à disposition à tout moment, ce qui nous force à faire travailler notre imagination pour nous l’approprier. Rêves érotiques, quickies (traduire par « baise rapide ») dans des lieux insolites ou envoi de sextos, l’esprit ouvre tous les champs des possibles pour donner vie à cette romance interdite.
Pour se voir, il faut aussi savoir faire preuve d’imagination pour éviter tout soupçon, ce qui confère à la relation un aspect ludique et une adrénaline due au danger perçu. Avoir un amant, c’est sortir des règles du jeu de l’exclusivité, et donc en quelque sorte œuvrer pour sa liberté sexuelle, celle qui n’est dictée par aucune morale de société, par aucun cadre juridique, par aucune norme. C’est s’autoriser à endosser le rôle de la traînée mais à qui personne n’osera vraiment jeter la première pierre. La religion a établi que la femme est celle par qui le péché arrive, celle qui détourne du droit chemin pur en croquant dans la pomme. Cette même pomme qui endort Blanche-Neige jusqu’à ce qu’un prince la délivre par ses baisers. Et si l’amant était justement celui qui venait réveiller les désirs éteints d’une femme, trop longtemps castrée par cette injonction d ‘une sexualité fragile et toute entière tournée vers l’autre plus que vers soi ? Si finalement, le fantasme de l’amant était uniquement celui de la liberté sexuelle, de l’amour sans entraves morales ? Et si avoir un amant n’était pas la fin du monde ?
Cet article est également disponible à la lecture en partenariat sur le blog Gleeden.