Le discours de la “misère sexuelle masculine” revient massivement depuis #MeToo. Derrière cette idée présentée comme une “réalité sociale”, se cache en fait un mécanisme politique : culpabiliser les femmes, les maintenir disponibles, et masquer les privilèges structurels dont les hommes bénéficient toujours dans la sphère intime. Décryptage d’un mythe dangereux qui détourne l’attention des violences bien réelles.
Résumé de l’article : La “misère sexuelle masculine” est un mythe utilisé pour culpabiliser les femmes et restaurer l’ordre patriarcal. Les données officielles montrent une réalité inverse : entre 94 % et 96 % des violences sexuelles sont commises par des hommes, les femmes célibataires vivent plus longtemps et plus heureuses que les femmes mariées, et les hommes bénéficient davantage du mariage que les femmes. Ce discours masculiniste sert surtout à masquer la dépendance affective masculine et à empêcher les femmes de revendiquer plus d’autonomie.
Le retour d’un vieux mythe post-MeToo
Depuis le mouvement #MeToo, une inquiétude masculine semble revenir en boucle :
“Les hommes sont en misère sexuelle” à cause des femmes et/ou féministes. Ce qui se présente comme un constat sociologique est en réalité un backlash : une tentative de détourner l’attention, de renverser la responsabilité, et surtout de culpabiliser les femmes qui posent des limites.
Car ce mythe n’a jamais concerné le sexe. Il concerne le contrôle. Avec la libération de la parole, les femmes refusent davantage :
- le sexe contraint,
- les injonctions portées aux femmes qui ne pèsent pas sur les hommes,
- la charge sexuelle et émotionnelle,
- la charge mentale dans le foyer,
- les mariages ou relations déséquilibrés.
Résultat : certains hommes ne perdent pas du “sexe”, mais voient effectivement leurs privilèges se réduire, face à des avancées en terme d’égalité entre les genres.
Les chiffres contredisent totalement l’idée d’une “victimisation masculine”
Les faits sont là :
- 94 à 96 % des violences sexuelles sont commises par des hommes 1https://www.inspq.qc.ca/violence-sexuelle/statistiques
- La majorité des victimes de violences sexuelles, conjugales et féminicides sont des femmes
- Le viol conjugal est reconnu en France seulement depuis… 1990.
- 55 % des femmes se déclarent insatisfaites de leur vie sexuelle
- 29 % des femmes ont déjà subi un rapport sexuel forcé
- 47 % des viols sont des viols conjugaux
Parler de “misère sexuelle masculine”, c’est invisibiliser ces réalités factuelles et déplacer la focale de la violence vers une supposée souffrance masculine provoquée par les femmes.
L’accès à un salaire (malgré les écarts de salaire encore existants), à la contraception, au divorce et à la propriété permet désormais aux femmes :
- de quitter les relations insatisfaisantes ou destructrices,
- de ne plus supporter l’injustice domestique,
- de refuser la charge mentale, émotionnelle et sexuelle,
- de préférer le célibat à la servitude affective.
Cette agentivité féminine n’est pas un problème, c’est une révolution féministe. Les femmes d’aujourd’hui ne tolèrent plus ce que leurs mères ont parfois dû endurer.

L’illusion romantique des « mariages à l’ancienne »
Les masculinistes idéalisent les couples de nos grands-parents : des unions longues, “solides”, présentées comme un modèle perdu. Ce qui en pousse certains à devenir des « passport bros« , des hommes qui fétichisent les femmes racisées des pays du Sud global, cherchant à les épouser, car « plus traditionnelles’.
La réalité juridico-historique est tout autre :
- 1965 : une femme mariée obtient (enfin) le droit d’ouvrir un compte bancaire sans l’accord de son mari.
- 1967 : loi Neuwirth autorisant la contraception.
- 1975 : divorce par consentement mutuel.
- 1979 : légalisation définitive de l’IVG.
- 1990 : reconnaissance du viol conjugal.
Ces unions duraient parce que les femmes n’avaient ni choix, ni autonomie économique, ni droits reproductifs, comme le rappelle le livre sur l’évolution de la sexualité en France de Maryse Jaspard. Ce n’était pas un âge d’or, c’était un système organisé de contrainte des femmes.
Ce que le concept de misère sexuelle masculine cache vraiment
Dépendance affective
Dans le patriarcat, les hommes sont socialisés à penser que les femmes doivent être :
- leur thérapie émotionnelle,
- leur organisatrice de vie,
- leur garantie de statut social,
- leur soin psychique,
- leur disponibilité sexuelle.
Lorsque les femmes refusent ce rôle, ce n’est pas “la sexualité masculine” qui s’effondre. C’est la dépendance affective masculine, rendue invisible par la misogynie.
Le mythe sert alors d’outil pour réifier les femmes, les rendre responsables du bien-être masculin, les ramener à une fonction d’accès au sexe.
La vraie misère sexuelle est féminine
Contrairement au mythe masculine, la misère sexuelle féminine est réelle, documentée, systémique :
- violences conjugales et sexuelles,
- féminicides,
- inégalités orgasmiques,
- charge mentale et charge sexuelle et contraceptive,
- non-respect du consentement,
- planning familial insuffisant dans certains territoires,
- inégalités socio-économiques.
Et pourtant, les femmes ne construisent aucun système d’oppression en retour.
Le mythe de la « célibataire à chat » : une projection masculine
Une idée revient pour culpabiliser les femmes :“Si tu refuses le couple hétérosexuel traditionnel, tu finiras seule avec ton chat.” Comme si cela était la pire chose qui puisse arriver à une femme dans la vie.
Pourtant, les recherches montrent que :
- Les femmes célibataires ou divorcées sont plus heureuses et en meilleure santé que les femmes mariées (DePaulo, APA, Journal of Marriage & Family).
- Les hommes célibataires, eux, vivent moins longtemps, sont plus isolés, plus dépressifs, et ont une mortalité plus élevée 2OMS (Global Health Observatory) + Étude du Journal of Epidemiology & Community Health (2011 – Europe entière)
Ce n’est donc pas la femme indépendante qui est en danger, si ses conditions socio-économiques sont notamment réunies pour vivre. N’oublions pas que la violence économique au sein du couple est aussi un moyen de domination et d’oppression. Il semblerait plutôt que ce sont les hommes qui paniquent que les femmes puissent être heureuses et épanouies sans eux.
La misère sexuelle est un outil politique
La “misère sexuelle masculine” n’est ni un fait sociologique, ni une crise contemporaine.
C’est un outil politique :
- pour contrôler les femmes,
- pour masquer la violence masculine,
- pour restaurer la domination dans la sphère intime,
- pour maintenir les femmes coupables et disponibles.
Les femmes ne sont pas responsables des manques créés par un système qui a appris aux hommes à exiger plutôt qu’à aimer.
