À l’occasion d’Octobre Rose, mois de sensibilisation au cancer du sein, j’ai pu échanger avec l’autrice Zoé Vintimille, qui raconte son expérience de la maladie dans son dernier livre Cher corps, petit salopard. Entre écriture comme refuge, bouleversements amoureux et redécouverte de sa sexualité, elle partage un témoignage fort et intime qui donne autant à réfléchir qu’à espérer.

Ton cancer du sein a-t-il été une source d’inspiration pour écrire ou était-ce un moyen de tenir face à la maladie ? 

En réalité, j’ai pensé à écrire ce livre avant de savoir que j’avais un cancer. Mon thème initial était “comment est-ce possible de vivre une telle passion pour la première fois à 46 ans ?”. Mais deux semaines après j’ai eu le diagnostic du cancer, et alors que je pensais arrêter l’auto-fiction, ça m’a donné envie d’y retourner.

Cher corps petit salopard de Zoé Vintimille aux éditions La Musardine

Écrire Cher corps, petit salopard a été un moyen de reprendre le contrôle pendant la maladie, car je l’ai entamé pendant ma chimiothérapie.

L’écriture me mettait dans une énergie de travail qui était positive, ce qui est bon pour le moral et le corps. Cependant, je reste très humble vis-à-vis de cela, car je sais très bien qu’in fine, c’est la maladie qui décide. 

Tu as découvert ton cancer du sein au début d’une histoire amoureuse et sexuelle intense avec un homme, qui finit par te quitter peu avant la chimio. Qu’est-ce que cela a eu comme impact sur ton rapport à la maladie et aux relations ? 

Cette rupture a tout de même éprouvé mon rapport à l’amour. Initialement, ce livre était un projet à deux, car il devait l’illustrer. Poser des mots sur cette histoire m’a permis de prendre du recul et d’en faire ressortir l’ironie. Il a toujours soutenu que la rupture n’avait rien à voir avec mon cancer, et je ne saurai jamais ce qu’il en était réellement. 

La passion c’est se raconter des histoires, donc j’essaie désormais de moins m’enflammer et de mieux respecter le rythme de la rencontre. Je me mets un peu à distance pour me protéger. Aussi, j’ai envie de laisser moins de place à l’amour qu’avant dans ma vie. Je rééquilibre les terrains d’investissement en valorisant l’amitié, le travail et le militantisme. 

Les études prouvent qu’une femme a 6 fois plus de risques d’être quittée par son partenaire quand elle est malade. Comme on éduque les petites filles à prendre soin des autres et les petits garçons à être égoïstes, rien d’étonnant. 

Rappelons-nous que la charge mentale ménagère incombe encore majoritairement aux femmes aujourd’hui. Donc si une femme tombe malade physiquement, d’un coup le partenaire masculin se retrouve en charge des corvées dont il ne s’occupait pas avant. 

En plus de cela, l’injonction physique qui pèse sur les femmes rend la chute de nos cheveux impressionnante. C’est toute l’intégrité physique qui est attaquée, car tout le monde est habitué à voir des hommes chauves, mais peu de femmes chauves. Aussi, comme les hommes se construisent beaucoup sur leur image de mâle forcément désirant, ils ont du mal à gérer la perte de désir, qui survient avec la maladie. On a peut-être ici des éléments de réponse sur leur propension à fuir dans ces situations difficiles.

As-tu ressenti des changements dans ta sexualité suite à ce cancer du sein ? 

J’ai ressenti des changements, mais c’était surtout lié à la ménopause, car la chimiothérapie m’a créé une aménorrhée.

Je ne ressentais plus d’ovulation et cela était très étrange pour moi. J’ai toujours eu une libido très forte et soudainement j’avais une baisse hormonale et un désir moins spontané.

Il m’a fallu un an ou deux ans pour me rééquilibrer face à ces changements. En réalité, ça m’a aussi reposé et apaisé, car ma forte libido avait quelque chose d’éreintant. 

En ce qui concerne les effets du cancer sur ma sexualité, c’est surtout mon intégrité physique qui a été attaquée. Aujourd’hui encore, mon apparence évolue tous les mois, avec la repousse des cheveux, donc j’ai l’impression que mon identité est brouillée en permanence. 

Pendant la maladie, j’avais un besoin de sensualité et d’érotisme sans pénétration. J’avais des relations uniquement avec des hommes que je connaissais et en qui j’avais pleinement confiance. Ce fut un gros cap de refaire l’amour avec un homme qui n’était même pas au courant de mon cancer.

Une de mes plus grosses craintes était d’avoir une mastectomie, car mes seins sont une zone érogène très forte. Je me sens chanceuse de ne pas avoir eu à affronter cette opération.

Dans ton livre, on suit les saisons de ton évolution sur un an. Quelle saison choisirais-tu pour décrire ta situation amoureuse et sexuelle ?

Le printemps ! Je suis dans une période de renouveau, car le fantôme de cet homme est en train de s’éloigner. Il n’est plus un obstacle à une nouvelle rencontre. 

Qu’espères-tu que tes livres puissent transmettre aux autres femmes, dans un contexte où les normes hétérosexuelles sont questionnées ? 

Dans le retour que j’ai des lectrices, ça leur fait du bien de voir une femme qui parle de sexualité librement, avec une pointe d’ironie. Elles sont contentes d’y trouver de l’émotion en plus de l’excitation. J’ai toujours voulu montrer que la sexualité s’inscrit dans la vie, car c’est le cas. Je ne veux pas écrire des histoires érotiques mais des histoires de vie.

Il y a six mois j’ai avoué à mes filles que j’écrivais des livres. La plus grande a tout de suite voulu lire Cher corps, petit salopard. J’ai dû masquer au stabilo quelques passages, mais quand je lui ai montré celui qui parle d’elle, elle a été très émue.

As-tu un message à transmettre à nos lecteur-ices pour Octobre Rose ? 

Mon message pour Octobre Rose est le suivant : il est hyper important de se toucher les seins soi-même et entre amoureux !

Il faut connaître ses seins et les palper, car c’est comme cela que mon cancer a été détecté assez tôt avec moins de dommages.

On peut rendre ce geste sensuel à deux, en faire une routine régulière pour soi, et surtout désacraliser ce toucher. J’y incite mes copines et les hommes autour de moi, pour que ce ne soit pas tabou.

Cher Corps, petit salopard est un livre édité chez La Musardine.