Si le cancer du sein touche les femmes de tous âges dans le monde entier, 80% se développent après 50 ans. Ainsi la stratégie de dépistage se concentre plutôt sur les femmes seniors. Mais comment fait-on quand on a un cancer du sein jeune ? Quel est l’accompagnement du service médical ? Comment vit-on sa féminité de jeune femme, quand on a dû subir une chimiothérapie et une mastectomie durant sa vingtaine ? Ana Lúcia Mondoloni, photographe franco-brésilienne de 31 ans, a accepté de nous partager sa bataille contre le cancer du sein.
Quand as-tu découvert que tu avais un cancer du sein ?
C’était en avril 2019, deux mois avant que je ne fête mes 25 ans. En touchant nonchalamment mon sein droit au réveil quelques mois avant, j’ai senti une petite boule. J’ai demandé à mon copain de l’époque de vérifier, et il a confirmé qu’il sentait également quelque chose d’étrange.
Comment se sont passés tes rendez-vous médicaux ?
Je vivais en Irlande depuis plusieurs années et suis revenue en France pour voir un radiologiste dans un hôpital. Il m’a fait une petite échographie, mais il ne m’a pas pris au sérieux.
Le médecin me répétait que c’était juste hormonal, que j’étais trop jeune pour avoir un cancer. Il disait que mon gros tatouage sur le torse pouvait être la cause, et que le tatoueur avait dû me blesser. J’étais un peu déçue de son jugement, de son manque de professionnalisme et de sa nonchalance. Il m’a dit d’attendre 6 mois et voir si quelque chose évoluait. Mais j’avais un sixième sens, je sentais que je devais revoir un docteur rapidement.
Je suis donc rentrée à Dublin. J’ai eu rendez-vous avec une docteure quatre mois après la précédente visite médicale en France. Elle m’a prise plus au sérieux et m’a mise sur liste d’attente pour voir un spécialiste dans un hôpital. J’ai dû attendre un mois. Ensuite, j’ai vu un médecin généraliste de la clinique spécialisée en cancer du sein. Il a eu le même discours nonchalant que le premier, avant de finir par dire : “mais si vous avez besoin d’être rassurée, on vous planifie un rendez-vous avec un radiologiste”. C’était clairement une forme de mépris basé sur mon jeune âge.
Je trouvais que les médecins oncologistes étaient un peu nonchalants avec moi, à part mon chirurgien. Comme j’étais jeune et avais plus d’énergie qu’une personne âgée, on aurait dit parfois que j’avais juste un rhume. Ils se basaient plus sur les infos factuelles que sur l’accueil émotionnel.
Comment as-tu vécu l’annonce de la présence d’un cancer du sein ?
J’ai fait une biopsie*, et là j’ai tout de suite vu que le médecin n’était pas serein. J’ai finalement dû faire quatre biopsies. Je me souviens de cette phrase du médecin : “Je ne peux pas vous dire que c’est un cancer et je ne peux pas vous dire que ce n’est pas un cancer”. Cependant, j’ai eu les résultats finaux au bout d’une semaine. Heureusement, ma mère s’était déplacée de France pour venir découvrir le résultat avec moi. On m’a annoncé un cancer du sein stade 3, sachant que le stade 4 est mortel. C’était donc un niveau grave, mais curable. J’ai toujours gardé un esprit positif, malgré la difficulté de la situation.
*La biopsie est un examen médical, où l’on prélève de petits fragments de tissu au niveau d’une anomalie observée lors d’un précédent examen médical. Ensuite, les tissus prélevés sont analysés en laboratoire pour confirmer le caractère cancéreux ou non de cette anomalie.
Et tu as subi une double mastectomie totale, était-ce un choix ou une obligation médicale ?
On a fait la première mastectomie la même semaine où on m’a annoncé le cancer, car c’était urgent.
Il faut savoir que la réalisation de la mastectomie est propre à la taille du sein, au type de cancer et à la morphologie de la personne. Cela va varier d’un profil à l’autre. Comme j’avais une petite poitrine initialement et un stade avancé de cancer, je n’avais d’autre choix que de faire une double mastectomie. D’abord ce fût le sein droit, et 2 ans après le sein gauche par prévention.
J’avais fait un test génétique et j’avais un gène porteur du cancer du sein et du cancer des ovaires. De ce fait, si quelqu’un est déjà mort du cancer dans ta famille ou si tu as déjà eu un cancer, ils préfèrent retirer le deuxième sein en cas de résultat positif du gène. En général, c’est difficile d’accéder aux tests génétiques et très cher, mais quand tu as déjà eu le cancer, c’est gratuit.
L’opération dure 3 heures et je suis restée 2 jours à l’hôpital. On te dit les soins et les exercices à faire pour le sein. Il y a aussi des gestes que tu ne peux pas faire (ménage, vaisselle, gestes brusques…). Tu es assez limitée dans tes mouvements et ça crée des raideurs.
Voir son corps après une double mastectomie, était-ce difficile à accepter ?
J’ai eu de la chance, car mon chirurgien en Irlande était spécialisé en chirurgie esthétique du cancer du sein et mastectomie. Donc, je n’ai jamais vu mon corps sans poitrine, car le retrait et la reconstruction ont été faites en même temps. Je sais qu’en France il faut attendre des mois entre l’opération de retrait du sein et la reconstruction du sein. Il m’a dit que je pouvais attendre si je n’étais pas sûre, mais j’étais d’accord pour qu’on fasse tout ce qu’il fallait directement. J’ai donc des prothèses mammaires, une petite taille au-dessus de ce qu’était ma poitrine naturelle.
La deuxième mastectomie a eu lieu en 2021, et je j’ai trouvé plus dure à vivre psychologiquement, car je connaissais déjà les difficultés et douleurs que j’allais vivre.
Peux-tu nous parler de ta chimiothérapie ?
J’ai eu une hormonothérapie et 6 mois de chimiothérapie. Cependant, j’ai dû arrêter l’hormonothérapie au bout de 3 mois car ça me créait beaucoup de rhumatismes. Avant la chimiothérapie j’ai fait congeler mes ovocytes par précaution, car la chimio peut poser des problèmes aux ovaires. Cette opération était couverte par la sécu irlandaise. Pour congeler mes ovocytes, j’ai eu le traitement de stimulation des ovaires, qui est aussi un autre type d’hormonothérapie et qui se fait par injection sur le ventre. Il faut savoir qu’avec l’hormonothérapie on te met en ménopause chimique, ce qui implique des effets désagréables comme la fatigue, les bouffées de chaleur, des changements d’humeur etc.
Quand on m’a enlevé le sein, je n’avais plus de traces de cancer, même dans les ganglions lymphatiques. Et donc c’était une très bonne nouvelle, car la maladie se propage par les ganglions. Techniquement il n’y avait plus de signes de maladie, mais on a effectué la chimiothérapie par double mesure de précaution.
C’était d’abord une chimio toutes les deux semaines, puis toutes les semaines. J’ai fini en novembre 2019. Elle s’effectuait en perfusion à l’hôpital pendant deux heures.
Comment as-tu vécu les changements de ton corps comme la perte de cheveux ?
Personnellement, j’ai rasé mes cheveux avant qu’ils ne tombent. Le dernier truc qui tombe ce sont les cils et les sourcils, mais tous les poils du corps tombent. J’avais un sentiment très ambivalent, certains jours ça m’était égal et d’autres jours c’était plus difficile, notamment quand je sortais avec des ami-es. Quand j’ai perdu mes cils et sourcils vers la fin du traitement, je me suis rendue compte que ça se voyait vraiment que j’étais malade. Je sentais beaucoup plus les regards sur moi et je ne me sentais ni désirée ni désirable, même si j’étais en couple avec quelqu’un.
Tu fais aussi de la rétention d’eau, donc tu gonfles un peu, notamment au niveau du visage. Tu sens et vois ton corps changer même si c’est pas forcément hyper visible pour les autres. Tu te sens super fatiguée, avec très peu d’énergie. Surtout quand on rentre de la chimio, c’est un peu comme une énorme gueule de bois, on sent que le corps est intoxiqué.
As-tu senti le regard des autres changer à cause de la maladie ?
Je ne travaillais plus et me sentais très isolée. Cependant, en plein milieu de la chimiothérapie, j’ai repris un peu mon activité de photographe en faisant de l’assistance photo.
Finalement, les gens ne te contactent pas tant que ça et ne viennent pas beaucoup te voir. C’est comme s’ils avaient peur que tu sois contagieuse. Ils ont aussi peur de te déranger, donc ils ne t’appellent pas.
Quand ça allait mieux, j’ai recommencé à ressortir. Mais mon copain de l’époque a arrêté de venir avec moi à l’hôpital au fur et à mesure. On s’est séparés peu de temps après le début de ma maladie, même si on a continué de vivre ensemble jusqu’à la fin de ma chimio. On est restés amis jusqu’à ce que je trouve un nouveau partenaire. Je ne cache pas qu’il y a eu des jours difficiles, mais d’autres jours je me disais “c’est bon, tu n’as plus le cancer en toi donc pas besoin de t’inquiéter.” Il faut savoir que les médecins n’ont plus le droit de dire qu’on est “en rémission”, ils disent qu’il n’y a plus de traces de cancer, au cas où il apparaîtrait à nouveau.
Cette épreuve de vie impacte-t-elle toujours ta vie amoureuse aujourd’hui ?
Ce qui est difficile quand tu as un cancer à la vingtaine, c’est que t’es censée être dans ta meilleure forme, dans la fleur de l’âge comme on dit !
À l’époque, je me disais que c’était la période de la vie où j’étais censée être la plus belle. Subitement, je me retrouvais avec une mastectomie et plus de cheveux. Donc, ce n’était pas facile à vivre et à accepter. En plus, on sait que les mecs n’aiment pas les situations compliquées. J’ai souvent eu l’impression qu’ils étaient un peu mal à l’aise devant ma poitrine et mes cicatrices.
Si c’est un plan cul, généralement je n’enlève jamais mon soutif, mais selon les mecs et l’aisance que je sens, je peux finir par le retirer. Je remarque que ça les intimide parfois et qu’ils manquent de maturité. Je le vois dans leurs regards même s’ils ne disent rien. Comme c’était un corps malade, il y a des cicatrices intérieures, la peau est endommagée, ma poitrine ne ressemble pas à une poitrine de chirurgie esthétique. C’est une poitrine qui a été affectée par un cancer du sein.
De moi à moi, j’ai des jours où je n’y pense pas et des jours où c’est plus désagréable. J’ai l’impression que le cancer m’a retiré une partie de ma beauté de jeunesse. C’est difficile de ne pas me comparer. Il y a certains hauts que je n’ose plus mettre. Avant je ne portais jamais de soutien-gorge, désormais j’en porte pour égaliser mes seins et harmoniser leur apparence. Le cancer a un peu retiré ma liberté dans mon habillement. C’est très récent que je me remette à porter un bikini par exemple !
Quels effets sur ta santé mentale et physique 6 ans après ce cancer du sein ?
J’ai l’impression que je n’ai plus la même énergie qu’avant de manière générale. Je sens que mon système immunitaire est plus fragilisé, vu que j’ai 4 glandes lymphatiques qui ont été retirées.L’effort physique est plus difficile et je n’ai pas beaucoup de force dans le haut du corps.
[Cependant, on se permet de préciser qu’Ana court régulièrement, fait de la nage libre en mer, de la musculation, voyage beaucoup et a vécu de nombreuses expatriations solo. C’est une boule de vie, de force et de joie ! NDLR]
Entre temps, on m’a trouvé de l’endométriose au stade 1, en plus du gêne Brca1 que je porte. Donc j’ai un risque de contracter le cancer des ovaires, mais c’est un des cancers les moins détectables. Il est encore flou pour la science, et quand il est déjà là, c’est compliqué car il est agressif. Normalement, les médecins veulent m’enlever les ovaires à 35 ans, mais une docteure de Lille m’a dit qu’on peut attendre jusqu’à 37 ans. Cependant, après avoir eu un ou des enfants je devrai les retirer absolument ! J’ai plus de risque d’avoir le cancer des ovaires car j’ai déjà eu le cancer du sein et que je l’ai développé très jeune.
Enlever les ovaires est très radical et peut déclencher des réactions comme la ménopause en plus fort, donc c’est mieux d’attendre tant que c’est possible.
Avant je devais faire des check up toutes les semaines, puis tous les mois, puis tous les 6 mois et maintenant c’est une fois par an. A priori j’aurai besoin d’être suivie à vie. Normalement, il y a un traitement que je dois suivre, mais je ne le supporte pas donc je ne peux pas le prendre. Durant la période du cancer, j’ai eu droit à 3 séances gratuites avec un psy, et après le cancer j’ai entamé une psychothérapie par moi-même.
Aimerais-tu ajouter quelques mots sur l’expérience du cancer du sein en tant que jeune adulte ?
Il y avait trop peu d’infos pour le cas de personnes ayant un cancer à un jeune âge, en tout cas à Dublin. Il y a des informations pour les enfants victimes de cancer et pour les personnes plus âgées, mais dans l’entre-deux, on s’intéresse peu à ton cas. Une fois, j’ai fait une fois un groupe de paroles avec d’autres personnes ayant le cancer et tout le monde avait au moins 10 ans de plus que moi. Ce n’était pas évident pour moi de me sentir comprise et accompagnée. Aussi, j’étais plutôt en bonne santé avant l’annonce du cancer, ça m’est tombé dessus et ça c’est quelque chose de difficile à accepter.
Quelques chiffrés clés sur le cancer du sein à retenir :
- Plus de 900 000 personnes sont atteintes en France
- 1 femme sur 8 développe ce cancer au cours de sa vie
- c’est le 1er cancer féminin en termes de fréquence (33% de l’ensemble des nouveaux cancers)
- 64 ans est l’âge médian du diagnostic
- C’est la première cause de décès des femmes européennes (Nombre de décès par cancer du sein estimés en 2018 en France : 12 100)
- En moyenne, 87% des femmes qui ont reçu un diagnostic de cancer du sein sont encore en vie cinq ans plus tard, et 75% 10 ans plus tard
Sources :
https://www.ligue-cancer.net
https://pink-ribbon.be/fr/
https://www.e-cancer.fr/
Le cancer du sein est le plus répandu des cancers féminins. En 2003, il y eut environ 61 214 nouveaux cas. Néanmoins, on constate d’énormes progrès sur le dépistage et la prise en charge médicale de la maladie. La mortalité diminue progressivement depuis les années 1980.
Depuis 1994, Octobre Rose est une campagne de sensibilisation en France, importée des Etats-Unis qui l’instaura en 1985.