Notre décennie est celle d’un empowerment sexuel féminin de plus en plus revendiqué, notamment grâce à l’explosion de comptes Instagram sexo-féministes. Le sexpowerment, pour reprendre le titre d’un livre de Camille Emmanuelle, a le vent en poupe ! Toute une jeune génération de femmes osent enfin dire sans rougir les mots « vulve », « clitoris » et vouloir des orgasmes en pleine conscience de leur corps. Pour s’approprier son plaisir, le tabou de la masturbation tombe et cette pratique est de plus en plus assumée par la gent féminine, faisant le bonheur d’une industrie du sextoy innovante et florissante. Des femmes nous ont fait part d’un décalage de plaisir édifiant dans leur sexualité : elles arrivent à se procurer beaucoup de plaisir en se masturbant, mais ne ressentent rien (ou presque) lors d’un rapport sexuel à deux, toujours plus décevant que leur expérience solitaire. Est-ce grave docteure ?
Le plaisir de la masturbation grâce aux sextoys ? Oui, mais pas que !
28 femmes qui se définissent en majorité comme cisgenres 1* Femme cisgenre : se dit d’une personne née de sexe féminin et qui se définit du genre féminin. Par opposition à une femme transgenre, née de sexe masculin mais se définissant du genre féminin. Même logique pour l’homme cisgenre vs homme transgenre., âgées entre 20 et 67 ans, ont accepté de nous détailler les différences de sensation entre leur sexualité solo et à deux. 41% d’entre elles sont en couple monogame exclusif, 30% célibataires, deux femmes sont en couple polyamoureux, une se présente comme « mariée insatisfaite consolée par son amant », entre autres. Un premier constat simple : toutes disent avoir facilement un orgasme en se masturbant et 26% d’entre elles y arrivent seulement avec un sextoy. Cependant, 74% utilisent l’outil le plus basique, accessible à toutes et efficace pour se donner du plaisir, à savoir la main et les doigts. Seules 7% pratiquent la technique du humping et 22% stimulent leur poitrine.
Tout acte sexuel, qu’il s’agisse de plaisir solitaire ou accompagné, nécessite de travailler son imagination sexuelle. C’est important pour faire évoluer son plaisir et stimuler sa libido sexuelle à travers le temps. En premier lieu, les répondantes utilisent leur propre imagination pour fantasmer durant la masturbation, suivi de souvenirs de sexe avec des ex amant-es (48%), du visionnage de films pornographiques sur des sites gratuits, puis seulement en 4è position l’utilisation de sextoys (26%). Une minorité pense à des scènes de film qu’elles trouvent excitantes (18,5%), 22% lisent des livres ou BD érotiques et seulement une d’entre elles a affirmé regardé des films pornographiques éthiques-féministes.
Parmi les sextoys utilisés, sans surprise, ce sont les marques Satisfyer et Womanizer qui sont citées le plus souvent. Parmi les modèles cités, le Satisfyer G-Spot Rabbit et le Womanizer Duo. Certaines mentionnent aussi des sextoys de type « Wand »(juste stimulation externe du clitoris) ou « Rabbit » (stimulation externe et interne simultanée). La palme de l’originalité revient à Isa, 63 ans, qui mentionne l’utilisation d’une brosse à dents électrique ! Un objet qui fait partie de notre top 8 des objets insolites des femmes pour se masturber.
Il y a trop de pression à deux, en solo c’est le lâcher-prise total
Les femmes qui ont témoigné sont unanimes sur leur expérience, la masturbation solitaire c’est le plaisir assuré !
« Je vais à mon rythme, selon mes envies et quand je veux, sans pressions ni injonctions. Et le plaisir est toujours au rendez-vous »
Virginia, 49 ans
Plusieurs évoquent « l’orgasme à tous les coups » et le plaisir de maîtriser la montée progressive de l’orgasme. Le lâcher-prise est plus facile, notamment car il y a une connexion physique et mentale plus évidente durant l’acte. Pour Eloïse, 23 ans, cela fait toute la différence :
J’ai jamais su vraiment connecter avec les hommes, même si je peux discuter, flirter et coucher avec eux. Je ne ressens aucune connexion émotionnelle ni physique. C’est donc rare que je me sente vraiment excitée par un mec, je me retrouve dans une forme d’état neutre. Avec un sextoy, je n’ai même pas besoin de chercher à m’exciter, je suis excitée de base rien que d’y penser. C’est plus facile ! »
Eloïse, 23 ans
Pour Charlotte, 35 ans, il est « plus difficile d’être à l’aise, plus difficile de lâcher prise, difficulté à dire ce que j’aime ou ce que je veux et les rapports sont plutôt centrés sur la pénétration. » Qui dit rapport phallocentré, dit souvent une relation sexuelle qui se termine quand monsieur a joui, alors que madame peut avoir envie de continuer. Comme nous avons l’habitude de ces (mauvais) scripts érotiques hétéros, cela peut générer de la culpabilité chez les femmes. Il y aussi une pression chez des hommes, soucieux de faire jouir à tout prix leur partenaire.
« Mon partenaire pense que l’objectif d’un rapport est l’orgasme. S’il n’est pas atteint pour deux, il considère ça comme un échec, alors en plus de la douleur lors de la pénétration, j’ai un peu le stress. Je me sens aussi perverse car j’ai plus de désir que lui. »
Eilish, 20 ans
Lily, 30 ans, admet « prioriser le plaisir de son partenaire », « se mettre la pression seule » et avoir « plus de mal à atteindre l’orgasme ». Les femmes sont constamment sous pression de leur apparence, ce qui influence leur sexualité, comme le dénonce la série « Libres ».
Le patriarcat a des impacts sur la sexualité à deux
Majorité des femmes interrogées sont hétéros et 30% sont bisexuelles/pansexuelles. Aucune n’est lesbienne et une femme mentionne des relations sexuelles avec des travestis. Nous sommes donc face à des témoignages qui portent essentiellement sur la relation sexuelle avec des hommes cisgenres 2* Femme cisgenre : se dit d’une personne née de sexe féminin et qui se définit du genre féminin. Par opposition à une femme transgenre, née de sexe masculin mais se définissant du genre féminin. Même logique pour l’homme cisgenre vs homme transgenre.. Pour la moitié d’entre elles, le sexe à deux rime avant tout avec pression.
Le regard patriarcal que la société donne aux garçons sur les filles, a des conséquences sur la sexualité. C’est pourquoi l’éducation sexuelle des enfants et ados est un sujet important à traiter et améliorer. Cela n’en sera que bénéfique pour une sexualité d’adultes plus positive et réellement plaisante pour tous-tes.
Eloïse évoque le regard masculin sexualisant et objétisant tôt dans sa jeunesse. Cela a eu pour effet de l’éloigner des garçons et de créer des rapports surtout conflictuels. « J’ai eu des règles très tôt (à 9 ans), des seins qui poussaient en CE1, on m’a sexualisé et donné un statut d’adolescente trop tôt. Les garçons me disaient que “j’étais bonne” et ça me dégoûtait, mon corps me dégoûtait. Je ressemblais à une fille de 15 ans qui jouait avec des filles de 7 ans, je me faisais embêter par les garçons de mon âge et les garçons plus âgés. C’était oppressant« .
Cette pression sur le corps des femmes dès le plus jeune âge complique l’idée de « lâcher-prise » durant un rapport hétérosexuel. Les femmes étant trop habituées à se sentir scrutées et jugées par le regard masculin.
Dans les rapports à deux, je sens que je ne me lâche pas, j’analyse tout, les mouvements, les caresses, mes sensations. Alors que quand je me masturbe, je suis seule avec moi-même, je me permets de ressentir plutôt que d’analyser. »
Iris, 34 ans
Cependant, tout ne va pas mal au royaume du sexe en binôme, rassurez-vous ! Plusieurs femmes mentionnent le positif du sexe en couple, le «plaisir à procurer du plaisir et voir l’autre jouir » (Hélène, 45 ans). Faire l’amour avec quelqu’un est beau quand il y a du désir et de bonnes sensations. Cette expérience de partage entre humains reste unique avec ce « plaisir d’être peau contre peau » (Cécile, 47 ans).
Quelles solutions pour avoir plus de plaisir sexuel dans un couple hétéro ?
Un tweet de la journaliste et activiste féministe Alice Coffin, montrait un slogan lesbien de manif’ « Quand les femmes s’aiment, les hommes ne récoltent pas ». Peut-on penser que plus les femmes s’approprient leur plaisir et moins elles veulent des hommes ? Cela fait écho à notre interrogation « peut-on être féministe hétéro et continuer d’aimer les hommes ? »
La réalité ne va pas forcément jusqu’à la finalité lesbienne. Cependant, les hommes doivent être plus à l’écoute du désir de l’autre et questionner leurs stéréotypes virils de la sexualité. Aucune femme n’a indiqué que la pénétration ne procurait aucun plaisir, mais il faut s’en décentrer. Le clitoris externe joue un rôle essentiel bien plus important, comme le rappelle Anna :
S’il n’y a que de la pénétration, sans contact direct avec le clitoris externe, c’est sympa 2 minutes, mais c’est pas fou ! Dans le cas des garçons qui ne savent pas toucher un clitoris, ou qui croient que c’est en me « pilonnant » que je vais avoir un orgasme, ce qui me manque c’est qu’ils soient mieux éduqués. Ou qu’ils me croient sans se vexer quand je leur explique comment ça marche chez moi. »
Anna, 35 ans
100% des répondantes ont déjà reçu un cunnilingus (se faire lécher la vulve et le clitoris). Mais, 40% d’entre elles n’ont pas eu d’orgasme ou ressenti de plaisir durant ce moment. Mélanie, 47 ans, raconte qu’elle a « un clitoris encapuchonné, et très peu d’hommes prennent du temps pour le trouver » . Pour effectuer un bon cunnilingus messieurs-dames, ce post Instagram illustré de @mercibeaucul peut vous aider ! Pour les personnes léchées, suivez nos 6 conseils pour prendre plus de plaisir pendant un cunni !
La masturbation n’est pas incompatible avec sexe à deux
À la question « qu’est-ce qui vous manque pour avoir plus de plaisir dans un rapport sexuel à deux ? », plusieurs mentionnent le souhait que l’acte sexuel dure plus longtemps. D’autres que l’« amant jouisse uniquement après que j’aie pris mon pied plusieurs fois » (Badille, 67 ans). Pensez donc aux bienfaits du slow sex ! Elles sont aussi une majorité à voir leur part de responsabilité dans ces difficultés à atteindre le plaisir à deux. Elles regrettent un « manque d’estime de soi », un besoin de « lâcher prise », le « courage de dire ce qu’on veut » et « oublier de se soucier uniquement du plaisir de l’autre ».
La masturbation est la clef de leur plaisir, pourtant 60% se masturbent peu, voire jamais, durant l’acte à deux. Serait-ce la peur de vexer le partenaire ? La honte de le faire devant l’autre, ou la difficulté de concentration en présence de quelqu’un d’autre ? Plusieurs raisons peuvent expliquer cela.
Quid d’ajouter un sextoy dans sa sexualité de couple ? Pour Eloïse, « utiliser un sextoy avec un mec n’a aucun effet, même quand c’est un sextoy qui de base me fait jouir en cinq minutes. »
Le rapport sexuel à deux est une improvisation qui s’apprend. Il est important de se comprendre soi et d’écouter l’autre, pour arriver à créer une danse complice et satisfaisante. Les femmes ont la qualité de vouloir faire bien, mais le défaut de privilégier le plaisir de l’autre au détriment du leur. Les hommes manquent d’écoute et de curiosité envers le plaisir féminin, et se concentrent sur leur propre plaisir. Or, il faudrait envisager le sexe de façon plus ouverte et collaborative ! Il y a des schémas à repenser des deux côtés, pour atteindre le septième ciel ensemble.